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y avoir recours qu’en cas d’absolue nécessité, « la ruyne d’une armée, écrivait-il, par l’advantage que le manquement des vivres donne aux ennemis, faisant perdre l’occasion de l’exécution des entreprises. »

Ces divers services d’approvisionnement et de transport, facilités par une très complète organisation de celui des étapes qui avait été créé par Richelieu, mais que Le Tellier améliora dans des proportions considérables furent, sous la haute autorité de l’intendant, confiés aux commissaires généraux des vivres, à qui il incombait de veiller à la confection et à l’entretien du matériel et qui eurent sous leur direction les munitionnaires, les boulangers, les charroyeurs, etc. Ils avaient, en outre, de nombreux commis qui veillaient à l’exécution de leurs ordres, notamment auprès des autorités locales, chargées de les renseigner sur les prix des denrées et de faciliter leur tâche en toutes choses, sous des peines sévères.

Pour se rendre compte du succès de cette organisation, due à Le Tellier, il suffirait de relire l’éloge que Saint-Simon, qui n’aimait certes ni Louvois ni son père, fait du commissaire général Jacquier qui, pendant plus de trente ans, avait été un de leurs meilleurs et principaux collaborateurs : « Jacquier, dit-il, était ce fameux commis des vivres, dont M. de Turenne disait qu’avec lui il n’était jamais en peine de mener une armée partout où il voulait. » Dans ses Mémoires, Louis XIV, qui n’a pas été sans rendre justice à Le Tellier, a, lui aussi, indiqué quelle importance il attachait à ces « amas de blé » qui, à l’heure dite, permettaient des entreprises aussi soudaines et aussi bien concertées que le furent, par exemple, l’invasion de la Franche-Comté ou la campagne d’Alsace, l’une des plus célèbres de Turenne : « Je donnai, sur les frontières, dit Louis XIV rapportant, comme d’habitude, tout à lui-même, des ordres pour tenir prêtes toutes sortes de munitions, en cas que j’en eusse besoin, principalement des farines que l’on faisait séparément dans chaque place pour ne pas donner le soupçon. »

Plus que personne, par des instructions bien comprises et bien données, dont il excellait à assurer, l’heure venue, l’exacte exécution jusque dans leurs moindres détails, Le Tellier prêtait, en de telles occasions, le plus précieux concours à la réalisation des projets du Roi. Lorsqu’il avait constitué ces réserves, il veillait, avec un soin scrupuleux, à ce qu’on n’en compromît point le