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larmes. » Le public, naturellement, applaudit. Il a tort. Mais qui donc, avant lui, fut coupable ? Oh ! si nous parlions à M. Massenet, au lieu d’écrire de lui, comme nous lui dirions : « Maître, ayez davantage le respect et l’amour de votre pensée exquise ! Suivez-la, gardez-la jusqu’à la fin. Ne l’abandonnez pas au moment de sa chute, ou de sa mort, et n’achetez pas, ne fût-ce que d’un trait de plume, d’un « bécarre, » pour employer le langage technique, la flatterie ou la caresse d’un murmure indigne de vous. »

Dans l’ensemble néanmoins et dans la plupart des détails, ce troisième acte est excellent. Il vaut par la continuité d’abord et puis par la variété d’une inspiration qui se renouvelle avec les sentimens et les situations. Il est, ce troisième acte, humain, passionné, vivant, d’un sentiment lyrique et d’une action dramatique tour à tour. Il a tantôt de la grâce et tantôt de la force. L’une, — et cette fois sans affectation ni mièvrerie, — une grâce pure et vraiment grecque est répandue sur les strophes que chante à la sombre reine une des vierges de Naxos. Entre les deux épisodes qui se suivent et composent le duo fraternel d’Ariane et de Phèdre, on se demande lequel a le plus d’élégance et de tendresse, le dessin le plus délicat et les nuances les plus fines. Sans doute, quand elle aura découvert la trahison, « Ariane aux rochers contant ses injustices » ne les contera pas, dans l’opéra de M. Massenet, sur le mode héroïque. Sa plainte, et surtout celle de l’orchestre, plaintif à son tour, charmera les cœurs et ne les fendra pas. Nous ne sommes point ici devant la statue, taillée en plein marbre et par un ciseau tragique, d’une immortelle douleur : plutôt devant un bas-relief, caressé d’une main légère et tendre, empreint ou seulement voilé de mélancolie. Assurément le répertoire même de M. Massenet offre, en assez grand nombre, des lamentations ou des « déplorations » plus pathétiques. Le musicien de Chimène et de Charlotte, celui d’Electre et surtout d’Oreste, a jeté d’autres cris, poussé d’autres sanglots. Mais tout de même ici, dans l’ordre de l’élégie amoureuse, il garde sa place, et près de « la Troyenne regrettant sa patrie, » — un peu plus bas seulement, — Ariane en pleurs a le droit de s’asseoir.

Enfin nous ne devons pas oublier la façon dont s’achève ce tableau d’opéra. Pour ne rien avoir d’antique, pour n’être pas de l’époque, — de l’époque de Thésée et du Minotaure, — le petit menuet qui guide vers le Tartare Ariane et les trois jeunes déesses n’en est pas moins délicieux. On ne l’attendait pas. Il survient, il surprend, et tout de suite il ravit, unissant au souvenir de Gluck un parfum de Mozart.