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et il est très douteux qu’en dehors des jeunes gens de bonne maison qui fréquentaient son école le poème de Livius ait beaucoup servi à répandre la littérature hellénique à Rome, mais il fut plus, heureux dans une autre circonstance. Quand la première guerre Punique fut terminée, et que les Romains eurent signé le traité qui leur donnait la Sardaigne et la Sicile, leur joie, qui débordait, voulut s’exprimer par des fêtes nouvelles, et Livius eut l’idée de leur faire connaître le théâtre grec. C’était une autre affaire que d’expliquer Homère devant quelques écoliers. Il s’adressait à ce public tumultueux dont Horace nous dit « qu’il vient au théâtre après boire et quand il n’a plus toute sa raison. » Pour s’en faire écouter et comprendre, il fallait lui parler une langue nette, précise, colorée, l’intéresser par les situations, l’éblouir par les images, le captiver par le spectacle. Livius y réussit : il traduisit, à l’usage de ces ignorans, les chefs-d’œuvre des grands tragiques ; il leur fit applaudir les infortunes d’Agamemnon, et les aventures d’Ajax ou d’Achille, qui semblaient leur devoir être assez indifférentes ; — l’hellénisme, ce jour-là, sortit de l’école et commença la conquête du peuple romain. Voilà pourquoi les critiques de Rome, Cicéron, Varron et les autres, avaient pris tant de soin de noter cette date de l’année 514 et faisaient partir de là l’histoire de la littérature dans leur pays. Le rôle de Livius n’était pas fini. Vingt-trois ans plus tard, en 547, de grands événemens venaient de se passer. Rome, aux prises avec Hannibal, après une série de terribles défaites, recommençait à vaincre, et elle voulait remercier les Dieux de ce retour de fortune. Le vieux Livius, — il devait avoir alors plus de 70 ans, — se fit encore cette fois l’interprète de la joie publique. Il composa en l’honneur de Junon-Reine, l’hymne que vingt-sept jeunes filles, vêtues de longues robes, après avoir parcouru en procession toute la ville, chantèrent et dansèrent sur le Forum, en se tenant par la main. « Cet ouvrage, dit Tite-Live, si on essayait de le reprendre, blesserait notre goût et nous paraîtrait grossier ; mais à des esprits moins cultivés, il semblait digne d’éloge[1]. »

C’est ainsi que, grâce à Livius Andronicus, qui a fait connaître aux Romains en quelques années l’épopée, le drame, la poésie lyrique, tous les genres importans leur sont arrivés à la

  1. Tite-Live, XXVII, 37.