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tout ce qu’il vaut. « Si je ne l’ai pas fait dès la première fois que tu es venu, c’est, que, mes allaires étant alors en mauvais point, je n’ai pas voulu que tes seigneurs crussent que la crainte me faisait être large prometteur. Mais, maintenant que je crains moins, je te promets plus ; quand je ne craindrai point, aux promesses s’ajouteront les faits, lorsqu’il en sera besoin. » De cette eau bénite de cour, Machiavel a une provision : « Votre Excellence voit combien librement mes Magnifiques Seigneurs sont venus et viennent à elle, lesquels, au comble de leurs périls, m’ont envoyé pour vous assurer de leurs sentimens. Que n’ont-ils pas fait ! (Ils l’ont plutôt subi, mais il est beau de s’attribuer le mérite de ce qu’on n’a pu empêcher) : « Ils ont ouvert leurs routes et tout leur territoire aux commodités de Sa Seigneurie. »

Conférences qui ne concluent pas ; confidences qui ne confient pas ; fausses confidences, titre de comédie, et c’est en effet une comédie qui se joue, mais c’est un drame qui se prépare. « Or, vedi, segretario. Tu sais que je suis le plus fort. Je ne suis pas dupe de leurs petites trahisons. (Des Orsini, des Vitelli, des conjurés auxquels sa pensée est retournée, si tant est qu’elle les ait un instant quittés.) Pandolfo Petrucci me dépêche tous les jours… mais je le connais. Et peu m’importe. Comptons bien. Ces 600 hommes d’armes dont ils font tant de bruit… ils ont raison de dire : hommes d’armes en blanc, c’est-à-dire en rien. Je ne veux pas « crâner » (faire le brave), mais je veux que les effets, quels qu’ils soient, démontrent qui ils sont et qui nous sommes… Je les estime d’autant moins que je les connais davantage. Vitellozzo ! On ne lui a jamais vu faire chose qui vaille, et il s’en excuse sur « le mal français. » Il n’est bon qu’à dévaster les pays sans défense et à voler qui ne lui montre pas le visage. » César dit cela tranquillement, pianamente, et ne se fàche pas le moins du monde.

Un autre jour : — Ah ! les Vénitiens m’ont « bien arrangé » auprès du roi de France ! — Mais il leur a bien répondu : « Lis la lettre de monseigneur d’Arles. Je t’ai déjà dit plusieurs fois, et ce soir, je te le dis de nouveau, que les faveurs ne nous feront pas défaut. » Et, comme c’est un esprit précis et réaliste, il ne se contente pas d’affirmer en bloc, mais il analyse et il énumère : « Les lances françaises seront ici bientôt, et aussi les fantassins d’outre-monts que j’ai désignés il y a plusieurs jours, st des nôtres tu vois que j’en prends à solde tous les jours ; et ni le Pape ne manque d’argent, ni le Roi ne manque de gens »