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Il y a plus encore. Quelque chose de tout à fait nouveau se veille en elle et, pour la première fois, toujours sous ce doux rayon, nous reconnaissons le futur auteur du Mill on the Floss et de Silas Marner.

Pour la première fois, elle semble prendre un plaisir conscient à regarder autour d’elle. Elle note, sans les traduire, de petits lambeaux de conversation française. « Je m’intéresse vivement à Mademoiselle, » a dit une certaine marquise qui se trouve là. Les mots, le ton, le geste, on sent que tout l’a frappé.

Le menu peuple l’amuse et l’instruit davantage. Ceux qui vont répétant que rien dans la correspondance de George Eliot ne rappelle ses romans, n’ont sans doute pas lu les lettres où elle parle de Mlle Faisan. Écoutez plutôt : « Nous sommes tout à fait bons amis, la petite Mlle Faisan et moi. Cette vieille bonne est jusqu’au cou dans la prose, mais vraiment les gens de ce calibre sont réconfortans quand on n’a pas assez de force pour des conversations plus stimulantes. Type de ces âmes heureuses qui ne demandent, rien au-delà du travail, trivial ou non, de l’heure présente. Contentes de vivre, sans savoir si elles sont bonnes à quelque chose, et, en réalité, très précieuses comme exemple de calme et d’égalité d’humeur. »

Ces indices d’une observation amusée et profonde sont d’autant plus intéressans qu’après Genève, nous ne les retrouverons jamais dans les lettres de George Eliot. Tout se concentrera dans les romans. L’important était de remarquer que cette éclosion coïncide avec une période de tranquillité et de bien-être. Il y a, dans les riches facultés littéraires de George Eliot, comme dans son cœur, quelque chose de frileux. La devise des félibres lui conviendrait bien, mais le soleil qui la fait chanter n’est pas le soleil de Mireio. Il lui faut la tiède chaleur d’une atmosphère de tendresse, les petits soins, les attentions délicates, le plaisir de donner beaucoup et de recevoir davantage, d’un mot, le nid soyeux blotti sur un vieil arbre, en face d’un beau paysage, loin des ennuyeux, loin des gros soucis.

Ici, comment se défendre des souvenirs que ces idées réveillent, comment ne pas revoir, sous la vitrine du British Museum, les quatre lignes tracées sur le manuscrit d’Adam Bede ? « À mon cher mari, George Henri Lewes, je donne le manuscrit d’une œuvre qui n’aurait jamais été écrite sans le bonheur dont son amour a rempli ma vie ; » — comment ne pas évoquer les soins