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Emilie de ces démarches, de leur insuccès, et du « danger » qu’elles avaient pour but d’écarter d’elle, renfermait ces exhortations :


Je vous conjure par votre fils, par vous-même, que j’ai toujours aimée, que j’aime encore, de ne pas me forcer, par une désobéissance qui, quelque autorisée qu’elle fût ou pût être, serait toujours criminelle et me trouverait inflexible ; de ne pas me forcer, dis-je, à vous faire connaître l’étendue de mes droits… Croyez que celui qui fut capable, dans un moment de désespoir où tout était permis, de vous traiter avec une générosité rare, n’est pas faible… Montrez-moi aujourd’hui que vous n’avez pas cherché à m’abuser par de vaines illusions, que vous voulez mériter l’oubli absolu de votre faute, et reconquérir tout, jusqu’à mon respect. Adieu, madame, ne soyez pas barbare envers moi, vous le seriez en même temps envers vous… Quand pourrai-je vous appeler encore mon Emilie !


De son aveu, Emilie avait été bien embarrassée de répondre à la lettre précédente ; elle n’y avait donc pas répondu. A celle-ci, qui devait l’embarrasser davantage, elle attendit quelque temps pour savoir quoi objecter. Elle saisit l’occasion du transfèrement de son mari au château de Joux, près de Pontarlier, que l’Ami des Hommes lui disait être imminent. Elle en fit part à Mirabeau comme d’une agréable nouvelle ; et, à la faveur de cette surprise, elle lui balbutia de faibles excuses, « des mots, » et des mots mensongers (25 avril 1775) :


Si j’avais pu exécuter les ordres que vous me donniez dans votre dernière lettre, croyez que je n’y aurais pas manqué ; mais comme nous allons partir pour le Bignon, nos malles étant faites, j’ai pensé qu’on me tiendrait pour folle si je faisais une pareille proposition, et qu’on l’attribuerait uniquement au désir de fuir la compagnie. D’ailleurs, si le motif que vous m’alléguez est réellement celui qui vous pousse, je vous assure que dans aucun couvent quelconque, je ne serais aussi gênée qu’ici. D’ailleurs, on ne me donne ma pension que mois à mois, et j’ai eu grand’peine à me faire avancer les 303 livres que vous deviez au chevalier de Gassaud, et que je lui avais mandé que je remettrais à son neveu [le mousquetaire]. Je les lui enverrai demain. Nous ne l’avons vu que deux fois, sous prétexte qu’il a été malade, à ce qu’il dit.


Ceci laissait croire qu’Emilie s’était ménagé au moins un motif et une occasion de revoir son séducteur. Quant à l’assertion que son départ pour le Bignon était une question de jours, elle était inexacte. Ce départ ne devait avoir lieu cette année-là qu’en septembre. Le marquis de Mirabeau marchandait alors