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gouvernement atténuaient d’une manière sensible le danger qu’il avait redouté ; toutefois, il a présenté un ordre du jour qui ne contenait pas le mot de confiance, et qui a été repoussé. C’est que, si on va au fond des choses, il y a entre M. Jaurès d’une part, le gouvernement et la Chambre de l’autre, une différence de méthode fondamentale et irréductible qui empêche entre eux tout accord sincère. Heureusement, on peut s’en passer. M. Jaurès estime que nous n’avons pas au Maroc, — et, en parlant de nous, nous parlons aussi de l’Espagne, — d’autres droits, ni d’autres devoirs que les autres puissances : en conséquence, il n’admet pas que la France et l’Espagne interviennent seules, alors que les autres s’abstiennent. L’action à deux ne lui dit rien qui vaille ; il se défie de l’Espagne, et, comme il voit les malheurs de loin, il est convaincu qu’un jour ou l’autre nous nous brouillerons avec elle. En revanche, il a une foi absolue et vraiment merveilleuse dans la solidité et l’efficacité du concert européen, ou même mondial. On comprend mal tant de défiance d’une part et tant de confiance de l’autre. Le concert européen s’est montré, dans plus d’un cas, singulièrement inefficace, et il y a pour le moins autant de chances de se brouiller quand on est douze que quand on est deux. La politique de M. Jaurès a d’ailleurs des précédens : c’est celle qui nous a empêchés autrefois d’aller en Égypte avec l’Angleterre. Nous ne nous en sommes pas moins brouillés avec celle-ci, et la brouille a même duré vingt ans. Au surplus, notre abstention a eu alors des excuses qu’elle n’aurait pas aujourd’hui. Nous n’étions nullement sûrs de l’adhésion de toutes les puissances à l’œuvre que nous aurions entreprise en Égypte avec l’Angleterre : il ne manque l’adhésion d’aucune à celle que nous entreprenons au Maroc avec l’Espagne.

Nous devons sans doute, — loin de nous la pensée de le contester ! — avoir avec l’Espagne une entente encore plus précise qu’avec les autres. A Algésiras, nous étions treize pour délibérer, en y comprenant le Maroc : maintenant nous ne sommes que deux pour agir, et il faut, pour agir, un accord plus intime que pour délibérer. L’Espagne est une nation fière, avec laquelle il importe de n’avoir aucun malentendu. M. le ministre des Affaires étrangères le sait bien ; c’est sans doute pour cela que M. l’amiral Touchard, avant de se rendre à Tanger, est allé à Cadix où il a laissé sa division navale et de là à Madrid où il a tenu à s’entendre sur tous les points avec le gouvernement espagnol. Cette intention a été comprise : M. l’amiral Touchard a reçu le plus sympathique accueil.

Sa démarche, qui marquait si nettement notre bonne volonté, s’est