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des Monts Betsimisares ou de l’Angavo. Cela fait qu’elle n’est point monotone et plate comme celle des plaines françaises ; elle est irriguée d’un perpétuel ruissellement, ravinée de torrens, trouée d’abîmes, étagée par précipices ; même où elle est douce, l’inclination donne une infinie variété et un pittoresque murmurant. La différence des altitudes dans une même zone, les péripéties des pentes, la dissemblance des couches de terrain que le mouvement géologique a mises à nu l’une par-dessus l’autre, ont jeté côte à côte les essences les plus diverses. Les déviations du sol, en les penchant l’une sur l’autre, en forçant les plantes longues des fonds à traverser les cimes aplaties des arbustes poussés un peu plus haut et épanouis en largeur, les entremêle encore. L’Européen trouve exquis dans leur sauvagerie ces précipices boisés où la végétation forte et déliée pousse dru ses tiges minces à travers des frondaisons grasses. Les feuilles ovales, noires et espacées, se superposent pour l’œil aux innombrables folioles qui au-dessus, blondies par l’atmosphère flottante et nacrée, étendent un dôme frémissant. C’est d’une musicalité puissante et suave. Ces tons obscurs des limbes larges suspendent une note d’humus dans l’harmonie aérienne des feuillages fins… En face, par delà le vide léger, s’entrevoient à travers les ramages de verdure des versans à pic, bleus.

Aux derniers gradins du terrain primitif, se presse la forêt vierge absolument sans clairière, aux arbres durs et pesans entremêlés de palmiers, arbres noueux superficiellement enracinés à un sol compact entre lesquels se dispersent l’ébène, le nate, le palissandre, le lalona, l’acajou et le bois de rose, où, dans les feuillages inséparables, s’enfoncent les veuves, roucoulent plaintivement les tourterelles, s’appellent infatigablement les coucals. Les cimes sont vertes, le sous-bois d’une végétation olivâtre pointillée de blanc, le sol couvert de feuilles rouilleuses et pourries : en haut un éternel été, en bas un éternel automne, entre les deux un immortel, mais pâle printemps à nuances neigeuses. Dans la sylve tropicale, les saisons se mêlent comme les essences, clairsemées et permanentes ; et bientôt on ne les distingue pas plus l’une de l’autre que l’on n’y reconnaît les arbres dans l’universel hallier.

La fougère arborescente, — le fanjan, — est l’individualité gracieuse de cette forêt embroussaillée et anonyme. Il n’est rien d’aussi délicat et surprenant : un tronc noir, comme fait de bois