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calciné et de terre humide, annelé dans le dessin des cottes d’armes, se prolonge vers le ciel par les feuilles naissantes fermées en crosses rigides tandis que les autres grandes ouvertes s’éploient horizontalement en une rosace de longues feuilles arquées. C’est une colonne corinthienne végétale dont les acanthes se développeraient avec l’envergure du palmier et la souplesse du bananier. C’est le bananier-fougère, une fougère paradisiaque compatriote des oiseaux de paradis, la feuille-fleur antédiluvienne des sous-bois. Il ne charme point seulement par la sveltesse avec laquelle il s’épanouit parfois sous une voûte de forêt, y ouvrant autant de clarté verte qu’un vitrail dans une nef. Mais c’est encore lui, à la lisière des plateaux, qui met la grâce animale de son plumage sur les ramilles sarmenteuses où les longs troncs au teint de lichen se perdent dans les buissons cendrés. Dès qu’il disparait, la sylve est éteinte et triste, avec quelque chose de grisâtre à tons de champignon, et les arbres sont pareils à de grands pédoncules blancs supportant un dôme de mousse humide. Ou bien, partout ailleurs, elle reprend cette apparence de vaste travail comme artificiel, tressé, fait au crochet et filigrane, avec ces tiges qui ont toutes un mouvement grêle dans une tendresse à se rejoindre et à se tisser en claire-voie sur un fond de brume transparente et passagère, ou, là-haut, sur le ciel d’un bleu de soie de papillon ressemblant à de la dentelle de ciel, de travail d’insecte.

La fumée des bois sied à ces feuillages frileux et découpés, à ces branches d’où pend de la mousse s’égouttant comme des lambeaux de brume blanche. Mais c’est la ravine qui est l’âme de la contrée sylvestre : sur ses versans se masse et descend en cascade la végétation la plus touffue ; dans le relief de son lit s’accentue la sculpture du pays ; dans le développement de son cours serpentant en mares moirées, puis précipité en hautes chutes, se transposent encore les deux caractères de cette région de pentes rapides et de bas-fonds forestiers, où l’humidité et les feuilles croupissent, Tévaporation ne s’effectuant point dans l’air saturé d’eau. A la frontière des hauts plateaux, affluent de l’Onibé, du Iaroka ou de la Voanana, elle se traîne par toutes les sinuosités des cols, égrenant des bassins à fonds sableux entre les herbes raides et sous des ramées tortueuses ; avec son eau terreuse et ses jolis bassins allongés où se parsèment les roches arrondies dans leurs reflets, elle a l’aspect désertique