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des cours d’eau algériens au milieu de la brousse tropicale : elle a l’originalité d’être une oued en forêt. La couleur qui s’insinue dans tout le paysage est jaunâtre : si parfois, en des retraits d’ombre, entre des pelouses d’un gazon presque noir, se recueillent des baignoires de marbre vert, le plus souvent s’étale une eau d’argile détrempée de la teinte du visage madécasse, et entre les fûts bistrés comme le galet restent suspendus des arbres morts couverts de vieilles barbes d’un jaune roux. Plus loin, là où les pentes d’abord modérées se brisent à angle droit, la ravine, reproduisant dans son lit le dessin des crêtes de montagne à large brèche, se précipite en vertigineuses cascades dont le bruit et l’écume montent entre les masses de verdure. C’est le torrent blanc ruisselant derrière les feuillages noirs au fond des entonnoirs à gradins.

Ainsi, tout le plateau central de Madagascar est soutenu sur une colonnade ininterrompue de falaises, hautes parfois de six cents mètres sur des largeurs à perte de vue comme à la muraille d’Ambininivy au Sud de Mandritsara, et même de quatorze cents mètres à la merveilleuse Montée d’Ankilsika sur la route de Farafangane à Fianar, que surplombent des festons grandioses de forêt, que déchire une cascade de six cents pieds tonnant dans des nuages de gouttelettes.


En plein maquis, là où seule la fumée des ronces qu’on brûle dénoncerait sa présence si toute la sylve malgache n’était continuellement boucanée d’une vapeur bleue, sur des terrasses inaccessibles auxquelles le Tanala lui-même n’atteint qu’en grimpant aux saillies des précipices, se cache le village tanala. Il porte souvent un nom qui signifie : silence ou tranquillité. Les cases, légères sur leurs pilotis, avec des cloisons tressées à damier sous des chaumes retombans, ont, par leur éparpillement dans la brume dorée des clairières, des apparences de ruches. Roussies par les fumées épaisses de fagots verts et les ardeurs du soleil après les averses, elles conservent sous l’humidité de la forêt une fraîcheur végétale. Des hommes petits, généralement nus, un peigne dans la chevelure, vous fixant de très beaux yeux qui regardent comme d’en dessous les arbres, y vivent parmi des femmes nues, tatouées des pieds à la tête, qui portent enfoncé jusqu’au-dessus de longs sourcils arqués un bonnet d’écorce. Plutôt courtes, de formes harmonieuses, et enfantines, elles