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s’accordent entre elles dans la polygamie. La première, celle qui se tient prête à suivre le mari quand il partira en voyage, se repose au hameau, tandis que deux autres s’y occupent de la récolte du riz et du foyer. Tout le jour, leur fidélité amoureuse entoure le maître de soins naïfs, et, le soir, quand on n’entend plus dans les vallonnemens obscurs des bois le glougloutement mélancolique de l’akafitra, celles que le désir du chef n’a pas choisies vont, sans désespoir, s’endormir sur les nattes de leur case à haute fenêtre au lieu de porte, défendues contre les attaques des chiens errans et des sangliers.

Le Tanala est heureux : il trouve toujours sa satisfaction dans les fourrés où il habite avec les pigeons bleus et verts, les pintades et les guêpiers. Il faut à ses narines évasées l’odeur de l’humus et des écorces fragrantes, à ses prunelles écarquillées sous des sourcils buissonneux les lumières tamisées qui tombent de branchage en branchage ; il ne respire avec plaisir que quand ses mains pendantes, ses jambes écartées se sentent près des troncs auxquels il peut grimper avec une souplesse de lémurien, — qui le fait surnommer babakoto par les Betsileos, — pour y rester voluptueusement accroché dans la contemplation des mamelonnemens moussus des cimes. Il n’est point de bûcherons plus impitoyables que ces amis de la forêt : le Tanala ne s’aperçoit pas qu’il travaille quand il s’agit de saper un tronc avec sa hachette en couperet qui lui sert de marteau, de rabot, de scie ; de vrille, de ciseau, ou de tailler minutieusement les branches et de fendre puis d’amenuiser le bois dur ; s’il ne se sentait surveillé, il déboiserait avec acharnement des étendues considérables, trouvant toujours assez de forêt pour soi. Sa fierté n’accepte pas d’autre sorte de labeur : pourquoi l’homme s’astreindrait-il, par exemple, à retourner des mottes avec l’angady, quand, allumant le feu aux branches, il peut regarder, les bras ballans, brûler des versans entiers de coteau où, sur les cendres, détrempées par les pluies, le soleil fera lever le riz ? Infatigable marcheur, assoupli à grimper, aux jeux d’adresse et aux danses à la sagaie, il parcourra d’inimaginables distances pour aller gratter certaines racines ou cueillir les tubercules dont il se nourrit, pour se porter au col des montagnes d’où il épie la direction des abeilles qui passent, sachant distinguer à leur vol élevé ou ras si le miel s’élabore encore aux ruches des troncs et des rochers ou s’il est prêt à être cueilli Parce qu’il aime errer et qu’il sait la forêt