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péril devenait intense. Après Montebello, ma mère écrivait à son fils : « Si tu es blessé, je veux, je dois le savoir. Je partirais. Je serais déjà partie si ton nom était sur la fatale liste. Mme de Ladmirault m’écrit que tu n’es pas atteint, peut-être m’épargne-t-elle… Oh ! la paix, la paix ! »

A nos craintes patriotiques s’ajoutait, cela se comprend, une douleur aiguë, personnelle, mais légitime. « Mon mari et mon fils, » répétait ma mère. Chaque jour, à tous les courriers, elle leur écrivait de longues lettres, dont les dernières révélaient d’extrêmes alarmes : « On dit vulgairement qu’il faut faire la part du feu. Hé ! bien, je la fais, vous recevez tous les deux une blessure, légère, je vais vous soigner, vous emporter et vous ramener ici. Ah ! je ne suis plus du tout Romaine, — à peine Française ! — je ne désire que votre retour, pas même un retour glorieux. Qu’on me rende mon bien, voilà ce qu’est devenue ma fierté nationale. Que me fait la gloire ?… Les victoires, — mais elles s’achètent, les victoires… »

Son mari la préoccupait bien plus que son fils dont la jeunesse lui semblait une sauvegarde. Mon Dieu, que nous étions loin du vrai !

A Mme Le Brieux.

Montebello, 24 mai 1859.

Ma chère femme et toi aussi, ma fille,

Mon officier de service est venu hier me réveiller avant le jour, me disant que le maréchal Baraguay d’Hilliers voulait me parler. Je descendis à moitié vêtu.

« Vous et vos hommes, — me dit-il, — devez prendre position dans le château de Genestello, vous y établir militairement et en organiser la défense.

« Je vous préviens que vous serez probablement attaqué dans la journée par des forces de beaucoup supérieures aux vôtres. Vous tiendrez jusqu’au bout. Avez-vous bien compris ? — jusqu’au bout. — Ah ! parfaitement, monsieur le maréchal. »

Je partis aussitôt. Arrivé au château, je fis la reconnaissance de l’intérieur, de l’extérieur et ce fut avec un vif sentiment d’orgueil que je reconnus qu’on pouvait y tenir longtemps. La position militaire était magnifique, j’entrevoyais déjà un peu de gloire pour mes enfans.

A peine avais-je terminé l’occupation, que je reçus l’ordre de quitter le château et de me rendre à Montebello. Voilà comment le destin me conduit… et m’éconduit.