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la responsabilité, comme un fait exceptionnel. Cela voulait dire, — et personne ne pouvait s’y tromper, — que le gouvernement entendait ne pas renoncer aux mesures d’exception. Tous les journaux le comprirent ainsi. Le régime du droit ne commençait pas encore pour eux. Tout au plus pouvaient-ils compter sur une tolérance un peu plus grande qu’autrefois. Il n’en résultait pas moins un certain ébranlement dans les esprits, une secousse de l’opinion, la pensée que le pouvoir personnel reconnaissait lui-même la difficulté de vivre toujours en dehors et au-dessus de la nation. Il semblait appeler à son secours des bonnes volontés indépendantes. C’est pour les recueillir, pour profiter de cet état d’esprit nouveau que se créaient presque à la même date le journal le Temps et la Revue Nationale.

Ces deux organes indépendans offraient aux libéraux l’occasion de se grouper, d’essayer leurs forces, de substituer à l’émiettement des résistances un centre de pensées et d’action. C’est dans la même intention que, sous l’énergique impulsion du comte d’Haussonville, les opposans de Lorraine publiaient chaque année sous le titre Varia un volume de politique et de morale. En ne paraissant qu’à des intervalles irréguliers, en mettant leur opposition en volumes au lieu de la mettre en feuilles volantes, s’ils échappaient aux dangers qui menaçaient les périodiques, ils n’en contribuaient pas moins au réveil de l’esprit public. La grosse affaire était alors de faire pénétrer partout, en province aussi bien qu’à Paris, l’idée d’une résistance nécessaire, d’un contrôle à exercer sur les velléités du pouvoir personnel.


V

En repassant les souvenirs de ma collaboration à la Revue Nationale, j’ai plaisir à évoquer des physionomies très parisiennes, très dignes de n’être pas oubliées des générations qui leur ont succédé. D’abord, mon camarade de l’École normale supérieure Eugène Yung, rédacteur habituel du journal des Débats, esprit doux et aimable, qui cachait sous la grâce des formes beaucoup de vaillance et de fermeté. C’est lui qui, sous le second Empire, organisa à l’Athénée une série de conférences avec le dessein secret de ressusciter au milieu de la France endormie le goût de la parole, le besoin des plaisirs de l’esprit et par là même le désir de la liberté. Il est mort trop tôt, après une vie presque