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dans sa formation ; témoin le succès de la plupart des grandes entreprises industrielles et commerciales, de celles qui sont aujourd’hui les plus florissantes, les plus lucratives, et qui ont débuté presque toutes avec d’infimes capitaux.

Un autre avantage enfin, une autre supériorité, a échappé à la Richesse : le respect, la considération des hommes, -est allé à ces « professions libérales, » faites de « grandeur naturelle, » qui, plus que toutes, donnent maintenant l’ « honneur » et où l’argent ne sert à rien pour réussir. Quelques-unes d’ailleurs donnent aussi l’argent : non seulement un grand riche, qui n’est que riche, a moins de prestige aujourd’hui, sauf peut-être pour son portier, qu’un grand peintre ou un grand avocat ; mais ceux-ci mêmes arrivent, par leur parole ou leur pinceau, à compter parmi les citoyens très opulens.

Ce dernier fait ne tient pas au mérite intrinsèque des peintres actuels, — ils ne pensent pas en avoir plus que Titien, Velasquez ou Rembrandt, — pas plus que les hauts honoraires de nos médecins et chirurgiens ne tiennent à la supériorité de leur diagnostic ou de leur bistouri sur ceux de leurs prédécesseurs. Il tient à la multiplication du nombre des riches, riches d’origine multiple, qui se font enchérir grandement les uns aux autres, par leur demande croissante, les œuvres ou les capacités rares. Le chirurgien amateur d’art, auquel une opération rapporte 5 000 et 10 000 francs, n’hésite pas à payer de ce prix un dessin de grand maître, celui par exemple qu’Albert Dürer, en 1521, vendit 24 francs, chiffre égal, ai-je dit déjà, à la valeur d’un clystère destiné à sa femme qui était malade.

Les productions des artistes vivans n’atteignent pas de semblables taux ; mais, suivant qu’ils sont plus ou moins laborieux et qu’ils exploitent leur renommée avec plus ou moins d’exigences ou de scrupules, ceux qui jouissent de la faveur du public réalisent annuellement de 200 000 à 300 000 francs de recettes en France. En Angleterre, ils dépassent 500 000 francs : l’un fait 36 portraits par an à 15 000 francs ; d’autres produisent moins, mais prennent plus cher. Nous avons d’ailleurs, parmi nos concitoyens vivans, des peintres qui ont reçu 50 000 francs et jusqu’à 100 000 francs pour un tableau, et un célèbre portraitiste actuel est communément loué de sa modération parce qu’il ne demande à ses modèles que 30 000 francs pour les reproduire en pied et 20 000 francs jusqu’à mi-corps.