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sans qu’elles fussent arrêtées par les leçons assez désastreuses qu’offraient les pays où cette expérience avait été tentée. Ce sont elles qui ont occupé l’opinion et la curiosité, effrayé les esprits pondérés, caché aux regards le travail plus sage de collaboratrices plus modestes, et rendu suspect à la foule le féminisme, bien que, depuis, des femmes éminentes aient essayé, en l’assagissant, de le réhabiliter. Le Congrès de 1896, entre autres, est resté célèbre par les exagérations ridicules de ses orateurs. On y vit soutenir sérieusement que la femme est à l’homme ce que l’homme est au gorille.

Il m’est arrivé de causer avec l’une de ces propagandistes toujours excitées. C’était une étrange personne qui habitait dans un étrange appartement meublé de meubles étranges. Un bahut, dont on devait avoir détruit une moitié, supportait de la vaisselle à fleurs ; sur les portes grises d’une armoire encastrée dans le mur s’accrochaient des chromos et des portraits. Un grand cadre marron emprisonnait des photographies d’hommes et de femmes, soldats des droits féminins, qu’entouraient des dédicaces et des articles de journaux. Sur une table bancale se penchait une lampe sans abat-jour, et sur une autre un encrier cassé voisinait avec des clefs, des ficelles, des épingles. Une étoffe suspendue à une tringle cachait des robes et une charrette d’enfant. Il y avait un peu partout des affiches écarlates. Un fauteuil laqué touchait une chaise de velours vert ; un poêle de fonte paraissait étonné d’être là ; tout le long d’un mur, de grands rouleaux de bois s’alignaient, dont on ne devinait pas l’usage. Cette chambre révélait le beau dédain du philosophe pour les commodités luxueuses de l’existence : qu’importent meubles, tableaux, tapis, rideaux, quand on a ses rêves ! Et cependant on devinait tout de suite que celle qui se contentait d’une demeure si pauvre avait connu de meilleurs jours et des appartemens plus confortables.

Pendant la dernière période électorale, elle s’en était allée coller sur les devantures des magasins, sur les réverbères, sur les arbres et jusque sur les capotes des voitures, d’étroites bandes de papier rouge ouvert, des « papillons, » sur lesquels étaient imprimés ces mots : « La femme doit voter : nous voulons le suffrage universel et non le suffrage unisexuel. »

L’après-midi et le soir des élections, elle s’était promenée sur les boulevards, en voiture, armée de drapeaux et d’étendards,