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langue française uniforme, et absolue, pas plus qu’un gouvernement uniforme pour toute la France : cela est capital à rappeler. Jusque-là les diversités provinciales sont trop fortes et les dialectes des provinces conservent leur autorité d’usage : ils n’ont pas encore passé à l’état de patois. C’est à partir de François Ier que la nationalité française. — affirmée au siècle précédent par l’apparition de Jeanne d’Arc et l’expulsion des Anglais, et consolidée par l’effondrement de la féodalité sous l’action de Louis XI, — commence à exister dans sa plénitude. L’autorité royale se manifeste à la fois par la création d’une cour et par celle d’une administration étendue à l’ensemble du pays. En même temps, l’imprimerie tend à unifier l’orthographe, tandis qu’elle propage les œuvres des plus anciens auteurs qui soient demeurés jusqu’à nos jours d’une lecture facile et assez courante : Rabelais, Ronsard, Montaigne, etc. Certes, leur langue, leur grammaire, leur orthographe diffèrent singulièrement de celles d’aujourd’hui, et il est indubitable qu’elles ne diffèrent pas moins de celles des XIVe et XVe siècles. Or, l’écart principal entre leurs usages et ceux de leurs prédécesseurs, la correction si l’on veut, ne se développa pas spontanément ; ce fut surtout l’œuvre voulue et systématique des écrivains et savans de la Renaissance. Eblouis par la réapparition des auteurs classiques de l’antiquité, ils s’efforcèrent de rapprocher la grammaire et l’orthographe des noms français de leurs origines étymologiques, réelles ou prétendues.

Tantôt, ils ont ainsi modifié et, disons-le nettement, altéré l’orthographe traditionnelle d’un grand nombre de mots d’usage courant, pour la rapprocher de celle de leurs radicaux et générateurs antiques ; tantôt, ils ont créé des mots nouveaux, sous une forme calquée servilement sur celle des mots grecs et latins dont ils les dérivèrent ; sans se préoccuper de savoir si les mêmes mots n’avaient pas déjà passé dans la langue usuelle sous une forme un peu différente, parce qu’elle avait été graduellement adoucie. Tels sont les doublets, de sens identique ou modifié : Compte et conte, amant et aimant, doublets où l’orthographe nouvelle était d’ordinaire compliquée par l’étymologie ; et une multitude d’autres, où la nouvelle orthographe était au contraire plus simple. Des lettres parasites, disparues avec le cours des temps, furent réintroduites dans bien des mots : ainsi, doit, pié, devinrent : doigt, pied ; la lettre y fut substituée à l’i dans les mots dérivés du grec, etc., etc.