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ils se retirèrent incontinent. Emilie, enfin, renvoyait à son mari, non décachetée, sa lettre du 28 février. Il l’avisait aussitôt, en réponse à ce procédé, qu’il introduisait son action devant les tribunaux ; et il publiait, sous le titre d’Observations, de nombreux extraits des lettres qu’Emilie lui avait écrites depuis son départ de Manosque en septembre 1774, jusqu’à son refus de le rejoindre à Pontarlier, en octobre 1775. On connaît ces lettres elles-mêmes. Mirabeau n’en citait guère que les protestations d’amour, de reconnaissance, de dévouement entier. Pour tout commentaire, après chacun de ces morceaux, il ajoutait en grosses capitales : Et Mme DE MIRABEAU N’A JAMAIS REVU, DEPUIS QU’ELLE ECRIVAIT AINSI, LE MARI DONT ON PRETEND QU’ELLE VEUT ETRE SEPARÉE ! » Sans doute ; mais elle en avait beaucoup entendu parler. Le coup, pourtant, était habile et fort parce qu’il était mesuré. Là-dessus, Mirabeau vint à plaider lui-même « avec bien de la douceur et de la modération, » au dire de M. de Marignane. Si Emilie l’avait entendu, le cri unanime fut qu’elle serait tombée dans ses bras. Elle fut condamnée à rejoindre son mari jusqu’à la conclusion du débat au fond : elle interjeta appel ; Mirabeau demanda l’exécution de la sentence nonobstant appel. Ces termes de chicane amusaient Emilie. Un trait nous repeindra au vif sa douceur enjouée et son incorrigible légèreté. Si elle ne suivait pas les audiences, elle fréquentait régulièrement les réunions de ses avocats, dans le cabinet de Portalis, qui portait la parole pour tous. Elle y venait toujours accompagnée du comte de Galliffet et d’un second sigisbée, M. de Vernègues. Et, tandis que ses hommes d’affaires et ses galans délibéraient, elle jouait avec l’enfant de Portalis, le caressait, le berçait, l’endormait sur ses genoux, ou bien le remettait sur pieds en le baisant et en lui disant : « Petit, réveille-toi, nonobstant appel. »

Le marquis de Galliffet ne voyait pas avec plaisir son fils prendre en cette querelle des attitudes aussi provocantes ; mais ses conseils n’étaient pas écoutés. Le comte Alexandre poussait Emilie aux extrémités. Les Observations du comte de Mirabeau, son plaidoyer tendre et pathétique, les applaudissemens qui avaient accueilli le premier arrêt des juges en sa faveur, ses airs de confiance hautaine et calme, tout faisait prévoir à la plupart une défaite du clan Marignane. Pour l’emporter, il semblait que la comtesse n’eût plus d’autre alternative que d’arrêter le procès par une promesse de réunion à plus ou moins court