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expressions les plus fortes » que, sa fille étant l’unique héritière de tous les biens, fiefs et titres de son antique maison, il aimerait mieux la voir donner le jour à un bâtard qu’épouser hors de France un comte aussi récent. Mais les conseillers du roi de Sardaigne se montrèrent favorables à l’union contrariée. « Il s’agit, disaient-ils, de procurer à un sujet de Sa Majesté, qui a l’honneur d’être à son service, et à une honnête famille, un patrimoine de la rente annuelle de 35 000 francs environ. » Cet argument l’emporta. L’évêque reçut l’ordre de donner sa permission imo reluctante patre. Ainsi put être célébré à Nice, en l’église cathédrale de Sainte-Réparate, le 9 juin 1792, « le mariage de l’illustrissime Honoré-Marie-Joseph Foucard, fils de l’illustrissime Esprit-François Foucard, comte de la Roque, et de l’Illustrissime Emilie de Covet de Marignane... » La comtesse avait auparavant, le 28 avril 1792, donné le jour à un fils.

Sur ces entrefaites, la Révolution redoubla d’énergie, l’intervention étrangère étant imminente ; et le lieutenant della Rocca prit les armes contre la France. Les émigrés qui n’étaient pas dans les camps virent toutes leurs ressources taries. M. de Marignane, devenu besogneux, se résigna à partager la demeure de sa fille et à avouer un gendre dont il tirait sa subsistance, qui guerroyait pour le rétablir, lui et ses pareils, dans ses privilèges et ses biens, et qui allait recevoir plusieurs blessures des plus graves au cours de cette tourmente de cinq années. Ce qui ne contribua pas peu à consolider ce rapprochement fut une maladie qui mit Emilie au bord du tombeau et qui la retint dans son lit ou à la chambre durant dix-huit mois. A la fin de 1796, ce mariage tant réprouvé sembla mettre Emilie, et son père avec elle, dans une situation privilégiée par rapport aux autres émigrés qui rentraient en France. La qualité d’étranger de son mari lui faisant espérer qu’elle revendiquerait avec succès ses droits sur les biens de M. de Marignane, elle arriva à Lyon vers le 10 novembre.

Il était à prévoir que ses démarches la conduiraient incessamment à Paris, et que les conseils, l’expérience, l’appui de M. du Saillant lui seraient profitables. Elle s’enhardit à les solliciter, à écrire à Caroline ; mais il était assez embarrassant de lui annoncer un aussi prompt changement d’état civil. On devine que son excellente mémoire des faits et de leurs circonstances de temps et de lieu fit totalement défaut à Mme della Rocca dans