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temps pour rapporter en France des esquisses de ces choses si peu connues

A M. H. de L

15 novembre 1869.

Peut-être, dans quelque temps, vais-je demander un congé de convalescence. J’ai réellement besoin de repos, tant pour mon corps que pour mon esprit, ou mon cœur, comme tu voudras. Ne ris pas en m’entendant parler comme un enfant ; à chaque âge correspond une douleur possible.

J’ai rapporté de mon dernier séjour à la maison une crainte qui se transforme en inquiétude : mon père me semble moins fort…

Moi-même, je ne suis plus un chêne. Pauvre roseau, ce dernier embarquement m’a singulièrement éprouvé.

Ce projet de retour n’est pas encore complètement arrêté. J’en serais cependant bien heureux. Mais, chut, chut ! il faut parler bas de ses bonheurs : comme un rêve, ils pourraient s’envoler. Adieu, ami.


Oui, un rêve. Robert revint en France[1], affaibli, très changé. Un long repos lui était nécessaire. Nous en constations le premier effet lorsque retentit ce cri de guerre : France contre Prusse !


III

Le pays tout entier tressaillit. Je vis alors une vraie douleur, — douleur impuissante, — celle de mon père : « Je ne puis plus combattre !… »

L’émotion de Robert fut grande aussi, mais tout autre : ce qu’il voulait, il le pouvait. Revenu des Indes un mois avant, il était au début d’un congé de convalescence. Sa fièvre persistait. Le 14, jour de la déclaration de guerre, tout changea. Il s’exalta. Si le temps l’avait frappé de son empreinte, l’âme restait la même, ardente, généreuse. Il ne frémissait plus d’impatience, comme autrefois, mais son énergie raisonnée faisait sa volonté plus libre, moins passionnée.

Se rendant aussitôt à Paris, il sollicita pour entrer dans la flotte de la Baltique. Il n’y avait plus de place, l’état-major de chaque vaisseau étant complet ; s’obstinant des obstacles, il lutta contre l’impossible : « Dussé-je remuer ciel et terre, je veux partir… »

  1. Juin 1870.