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est de qualité spéciale dans l’ensemble de son œuvre. Dans ces quelques vers à propos d’un vieillard, son inspiration se hausse à peindre la vieillesse elle-même : « Maintenant il marche dans les rues ; il regarde tout ce qu’il rencontre, morne et indifférent, et il agite sa faible main comme s’il disait : « Ils sont partis ! » Son nez est pincé, et descend sur son menton comme un bâton ; il a une bosse dans le dos, un craquement mélancolique dans son rire. » Après ces publications, l’ « humour, » — un luxe interdit jusque-là à l’égal de tous les autres, — devient à la mode. Considéré par ses compatriotes comme le prototype de la distinction littéraire, Holmes, le premier, eut le mérite de détendre dans un demi-sourire les faces immobiles des Bostoniens.

James Russell Lowell suivit cette impulsion en publiant les Papiers de Biglow. On a pensé qu’ils étaient le commencement d’une littérature nationale parce que, d’un océan à l’autre, cet essai unit le pays entier dans un seul éclat de rire. Après trois générations, ces pages, où des opinions personnelles sur la guerre du Mexique et autres débats politiques se présentent en dialecte, ont perdu leur charme d’actualité. Et pourtant, grâce aux traits comiques par lesquels Lowell s’est efforcé d’y peindre le caractère américain, elles demeurent la partie la plus originale de son œuvre. Pour le reste, son gracieux talent fait de lui un poète anglais de second ordre.


V

L’intérêt éveillé par les œuvres en prose d’Edgar Allan Poë a franchi les limites de la littérature américaine : c’est le public universel qui a salué en lui les dons du génie. La connaissance familière que l’on a de l’écrivain et de ses contes, grâce à des traductions et à des critiques comme celles de Baudelaire et de Arvède Barine, ne s’étend pas à son œuvre poétique. L’existence écourtée et pleine de tourmens à laquelle le condamnèrent les circonstances et son tempérament passionné fut sans doute fort différente des vies méritoires d’un Longfellow ou d’un Whittier. Le trait commun est la sonorité mélancolique.

Le désordre de Poë, désordre moral et matériel, dans sa conduite et dans ses affaires, désordre dans sa destinée elle-même, le harassa et le tua à trente-huit ans. Personne ne sait au juste s’il est né à Boston ou à Baltimore. L’heure qui