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portaient dans l’Orient le nom de Patriarches, et qui vivaient sous des tentes au milieu des troupeaux. Ces Patriarches étaient les dépositaires des plus vieilles traditions des peuples ; ils étaient comme la branche aînée du genre humain. Par une suite d’aïeux, dont les noms étaient connus, ils remontaient jusqu’au premier homme. Ce premier homme désobéit à Dieu, pécha et mourut. Sa postérité fut souillée de son crime. Il lui fallait un Rédempteur qui la rendit à ses fins primitives ; ce Rédempteur est venu de nos jours, c’est Jésus-Christ.

En prononçant ce grand nom, l’orateur s’interrompit, tous les chrétiens du Sénat s’inclinèrent, et la statue de Jupiter trembla sur son autel. Eudore reprit aussitôt :

— Une aventure touchante fit descendre en Égypte Jacob, chef des Patriarches, et tige de la nation des Hébreux. Les Hébreux furent opprimés, Moïse les délivra ; Dieu rompit le bras de Pharaon et précipita dans la Mer-Rouge le cheval et le cavalier. L’Éternel nourrit son peuple au désert, et Moïse conduisit les Israélites à la vue de la Terre promise.

Cette Terre promise, objet des railleries d’Hiéroclès, cette petite vallée de pierres aurait dû paraître toutefois quelque chose d’assez grand aux yeux mêmes de la philosophie.

Le royaume des Hébreux était placé entre les deux empires de l’Égypte et de la Syrie. Si la capitale des Juifs eût été bâtie dans les plaines de la Palestine ou de la Galilée, elle fût tombée sans résistance au pouvoir des Mèdes ou des Égyptiens. Jérusalem au contraire, retirée au milieu des montagnes, opposait ses roches comme des remparts à l’esclavage. Les Romains savent ce qu’il leur en a coûté pour renverser cette cité malheureuse.

Outre cette grande raison politique de l’établissement de Jérusalem au centre d’un pays stérile, il s’en présentait une autre à des hommes d’un génie un peu plus profond que l’accusateur des chrétiens. Les Juifs vivant dans la plaine non loin des ports de la mer, se seraient tournés vers le commerce où les entraîne naturellement leur génie. Or le commerce ronge et dissout bientôt le caractère des nations. Le législateur voulait faire des Hébreux un peuple qui pût résister au temps, conserver le culte du vrai Dieu, au milieu de l’idolâtrie universelle, et trouver dans ses institutions une force qu’il n’avait pas par lui-même. Il renferma donc les Hébreux dans la montagne. Séparés du reste du monde, ceux-ci prirent insensiblement la haine des coutumes étrangères, et cet amour de leurs propres usages qui les mirent à l’abri des innovations. Leurs lois et leur religion furent conformes à cet état d’isolement. Tout chez les seuls adorateurs d’un Dieu unique tendit à l’unité. Ils n’eurent qu’un temple, qu’un sacrifice, qu’un livre : le livre contenait leurs destinées. De temps en temps, des Prophètes élevaient la voix au milieu de ce grand peuple solitaire, et lui annonçaient un Messie, des récompenses et plus souvent des malheurs. Les lieux mêmes où les enfans de Jacob se conservaient pour l’avenir nourrissaient en eux ces passions exaltées, sans lesquelles les hommes sont incapables de grandes actions. Sous leurs pieds une poussière brûlante, sur leurs têtes un ciel d’airain, autour d’eux des rochers nus, des campagnes de sel, des lacs coulant du bitume, non loin d’eux dans les cavernes d’Habron les tombeaux de leurs pères. C’étaient là les seuls objets offerts aux regards comme aux méditations d’Israël.