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comte le prit et le baisa. Il le portait entre ses bras, et jura Dieu et ses vertus que jamais à nul jour l’enfant ne serait déshérité. « et celui qui augure qu’il sera moine, dit-il, est un homme mauvais. J’aime les chevaliers, je les ai toujours aimés, et, si longtemps que je vive, c’est par leurs conseils que j’agirai… Trop longtemps je me suis humilié : désormais on ne me verra plus faire d’avances à mes ennemis : au contraire, je les écraserai. » Il se réjouissait à la vue de son fils ; il ne savait pas quel malheur l’attendait.

Il y avait là un baron, Gui de Risnel, que Girard tenait pour le plus fidèle de ses hommes. Il eut peur de voir la guerre recommencer… Il promit à l’enfant un oiseau d’or, le prit entre ses bras sous son manteau, le porta dans un verger sous un arbre, lui étendit le cou comme à un agneau et lui trancha la gorge. Il le jeta, une fois mort, dans le puits de pierre, monta à cheval et partit au galop. Une fois sorti, il s’arrêta sous un orme, et s’écria : « Ah ! traître et félon que je suis, pire que Caïn, qui tua Abel ! Pour l’enfant, je livrerai mon corps à la mort. » Il descendit de cheval sous le donjon de Roussillon, devant la grande salle, et trouva le duc Girard dans la chambre, près de la cheminée. Il lui tendit son épée par la poignée, et lui rapporta de quelle façon il avait tué de ses mains le damoisel.

Le jour s’en allait, c’était le soir, et le lendemain Girard devait se mettre en marche avec son armée, qui lui tend Pépée par la poignée : « Comte, fais de moi justice à ton plaisir. J’aime mieux mourir pendu ou brûlé que de voir recommencer cette guerre. » Le comte dit : « Fuis, traître, je ne puis endurer de te voir… ; Or la comtesse Berte entra pour se coucher. Elle vit le duc triste et sombre : « Seigneur, tu n’es pas ainsi d’ordinaire. — Dame, promets-moi une chose. — Tout ce que tu veux, soigneur, mais dis-moi la vérité. — Ne laisse pas paraître ta douleur pour ton fils : il est couché mort dans le puits de pierre. Fais-le retirer et porter au moutier. » Berte ne put supporter cette nouvelle ; elle s’évanouit. Le comte la releva, la fît asseoir : « Puisque Dieu n’a pas voulu laisser vivre notre fils, faisons de Dieu, s’il lui plaît, notre héritier. Mieux vaut lui donner que garder à notre profit. — Dieu t’en donne le pouvoir et le loisir ! » répondit la comtesse.


Le lendemain, Girard combat le roi et le vainc : Charles est même un instant fait prisonnier, puis relâché par la magnanimité de ses ennemis. Il rentre à son camp, irrité. Le pape lui prêche la paix, promettant que Girard et son allié Foulques donneront vingt chariots chargés de leur avoir pour réparer les moutiers qui ont été brûlés et qu’avec les terres allodiales qu’ils ont en toute franchise, ils feront vingt abbayes pour le salut de ceux qui sont morts par le glaive.

Alors Girard et toutes ses troupes, barons, comtes et riches chasés, s’avancèrent vers le roi, à pied et déchaux. Girard et Foulques, devant les autres, allèrent vers lui. Girard lui rend