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coup d’une émotion et d’un enthousiasme récens, des aèdes ou des scaldes aient chanté les exploits guerriers de Girard, et, à la rigueur, ceux de Berte ; mais plus difficilement que ces mêmes scaldes aient mêlé à ces chants de guerre le récit, fort peu épique, de la fondation de l’abbaye de Vézelay, qui ne devait être alors qu’une assez chétive maison.

Au contraire, je prie le lecteur de supposer, ne serait-ce qu’un instant, et quitte à se reprendre, que ces aèdes et ces scaldes n’aient jamais existé ; que Girard et Berte n’aient donné matière en leur temps à aucun chant, à aucun récit légendaire contemporain. Qu’il veuille bien supposer simplement que, deux siècles après leur mort, lin promeneur, un passant quelconque soit entré dans l’église de l’abbaye de Pothières, au diocèse de Langres[1]. Il y aura trouvé le grand autel entouré de colonnes de marbre blanc ; à gauche et à droite, deux tombeaux : du côté de l’évangile, le tombeau de Girard ; du côté de l’épître, celui de Berte. Devant l’autel, sur le pavé, l’épitaphe de leur enfant, Thierry, mort à l’âge d’un an :


Francia quem genuit Lugdunus flumine sacro
Diluit et Christo participare dedit.
Theodricum innocuum retinet hic urna sepultum,
Quem dura ex ipsis mors tulit uberibus


Cette « vénérable épitaphe, » dont on conserve encore un fragment à la bibliothèque de Châtillon-sur-Seine, est ancienne[2] ; celles qui se lisaient au XVIIe siècle sur les tombes de Girard et de Berte ne l’étaient pas ; mais peut-être avaient-elles remplacé des inscriptions du moyen âge[3]. Quoi qu’il en fût, le premier moine rencontré dans l’église par notre passant aurait su lui dire que ces tombes étaient celles de Girard et de Berte, les fondateurs du monastère, car l’obit de Berte était marqué, au 8 novembre, dans le nécrologe de l’abbaye de Pothières, en ces termes : VI. idus novembris. Depositio dominae Bertae comitissae,

  1. Voyez, sur cette abbaye, la Gallia christiana, t. IV, col. 724. Les détails qui suivent sur l’église sont pris au Voyage littéraire de deux religieux bénédictins de la congrégation de Saint-Maur (dom Martène et dom Durand), 1716, t. 1, p. 105. La description qu’ils en donnent concorde (à leur insu) avec celle qu’en fait au XIIe siècle cette Vita Girardi dont nous parlerons plus loin.
  2. On en trouvera un fac-similé dans Gérard de Roussillon [par A. de Terre-basse], Lyon, 1856, p. XXXVI.
  3. Voyez Mignard, Le roman en vers de Girard de Roussillon, 1858, p. XV.