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soustenoit d’une part et d’autre ses manches, qui estoient pleines d’araine, et aloit quant cele aloit. » C’est ensuite le miracle de Pothières : tandis que l’on construisait l’abbaye, un jour, Girard et Berte portaient tous deux sur. une perche un vase rempli d’eau pour faire le mortier ; la comtesse, qui allait devant, tomba ; mais la perche resta suspendue en l’air, l’eau ne versa pas, et Girard « vit l’ange Dieu qui retint la dite perche et la mit sus l’espaule la comtesse quane ele fu relevée, et s’esvanoï errament des eulz a cels qui s’en mervoilloient. » Ce sont donc les mêmes prodiges que dans la chanson de geste, avec cette différence que *le miracle unique de la chanson de geste, qui se produisait à Vézelay, a été coupé en deux pour que Pothières en eût sa part, à moins que ce ne soit l’inverse, et que l’auteur de la chanson, à des fins littéraires ou pour tout autre motif, n’ait fondu en un seul les deux miracles, primitivement distincts, de Pothières et de Vézelay.

Le chapitre qui vient ensuite : De monte Latisco vel castro ejusdem donne sur le château de Roussi lion diverses indications topographiques et rapporte quelques fables, sur quoi nous reviendrons.

Aux deux chapitres qui suivent : De pugna secus Rossellon peracta, De pugna secus Verzelliacum facta, on reconnaît deux épisodes du poème : le premier est un récit du siège de Roussillon par le roi ; ne réussissant pas à le prendre par la force, il gagne un valet qui lui en livre les clefs. Fuite de Girard dans les ténèbres ; son retour à la tête d’une armée ; grande bataille qu’il livre, si horrible que la vallée est encore appelée Vallis sanguinolenta. Le second est, comme dans la chanson, une bataille qui se livre à une date convenue entre les adversaires, in valle Betun (le Valbeton du poème) et qui est arrêtée par le même miracle que dans le roman : la foudre embrase le gonfanon du roi et celui de Girard[1].

  1. Ce sont ici visiblement, selon notre moine, des épisodes des guerres antérieures de Girart et non, comme le croit M. P. Meyer (Girart de Roussillon, p. XXIV-VI), le récit d’une guerre nouvelle, « qui n’aurait eu ni cause, ni conclusion. » L’auteur n’a-t-il pas dit plus haut que Charles, après avoir reçu la visite de l’ange, avait conclu avec son ennemi une paix définitive (perpétue) et qui jamais plus ne fut troublée (et sic finis tam diuturne controversie fuit) ! Il ne se serait pas contredit à deux pages de distance : s’il avait voulu raconter ici une guerre nouvelle, il aurait pris la peine de dire pourquoi elle a commencé, comment elle s’est dénouée. Il y a ici de sa part simplement un artifice (ou un défaut) de composition : dans la première partie de son œuvre, sous ce titre unique Vita Girardi comitis, il a décrit à grands traits la carrière de son héros ; maintenant, en une série de petits chapitres, distingués chacun par un titre particulier, il donne des détails qui peuvent être rétrospectifs : tantôt des récits de miracles, tantôt des renseignemens topographiques ou des récits de batailles, sans plus s’astreindre à un ordre chronologique. Cf., à cet égard, les justes remarques de M. A. Snmming, ouvr. cité, p. 39.