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Elle pourra par la suite vagabonder à travers la France, et, s’écartant de la Bourgogne natale, revêtjr l’affublement limousin sous lequel nous la connaissons ; elle pourra se transformer au XVe siècle, sous la plume de Jean Wauquelin, en un pur roman de chevalerie : les remanieurs les plus tardifs n’imagineront jamais, comme seuls ont fait plusieurs critiques modernes, de la déraciner ; toujours, même dans les versions dégradées, Girard restera le saint de Pothières et de Vézelay, le combattant de Roussillon et de Valbeton. Or, ces attaches de la légende à la terre, quel en est le sens profond ? Il réside dans cette idée très belle que le héros, dressant l’abbaye de Pothières dans cette plaine de Roussillon où tant d’hommes étaient morts par lui, dressant l’abbaye de Vézelay au-dessus du champ de carnage de Valbeton, a voulu sanctifier les lieux que ses passions avaient désolés.

Cette idée si grande, nécessairement primitive, qui est le germe de la légende, ou plutôt qui est toute la légende et sans quoi la légende n’est qu’un pur rien, il est remarquable que la Vita Girardi comitis l’exprime à peine et que la chanson de geste ne l’exprime pas. C’est que, obscurcie pour nous qui avons eu besoin de cette longue étude pour la dégager, elle était claire et s’imposait d’elle-même aux hommes pour qui furent composées la Vita Girardi et la vieille chanson de geste ; et c’étaient des hommes qui voyaient de leurs yeux les ruines du château de Roussillon à deux pas de Pothières, et de leurs yeux le champ de bataille de Valbeton à deux pas de Vézelay : c’étaient les pèlerins qui venaient vénérer les reliques de la Madeleine.

Ils venaient par milliers trois fois l’an, dans les beaux mois du printemps et de l’été, à Pâques, à la Pentecôte et pour le 22 juillet. Comment les fictions combinées par les moines et les jongleurs ont-elles si pleinement réussi ? Pourquoi Vézelay est-il devenu au moyen âge l’une des métropoles religieuses de la France ? Par les mêmes raisons qui avaient fait de sa voisine Alesia, au temps de Vercingétorix, un centre important, non seulement politique, mais religieux, de la Gaule.

Ce qui caractérise notre pays, géographiquement, écrit M. Vidal de La Blache[1], c’est qu’il est « un pont entre la Méditerranée et l’Océan ; « « dans le signalement de la France,

  1. En son excellent Tableau de la géographie de la France, Paris, 1905, p. 9-10,