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m’appuyer. Dans tout le cours d’une vie tempétueuse et pénible, rien ne m’est arrivé de plus agréable et de plus heureux que le bonheur de vous connaître. »


Un court passage d’une lettre postérieure nous laisse deviner que la réponse de Blacas fut conforme à ce que souhaitait Joseph de Maistre.


« Puisque vous le voulez, écrivait celui-ci, je me prévaudrai, non sans quelque rougeur cependant, de l’offre aimable que vous m’avez faite et dans le cas d’une acquisition que j’ai en vue, je tirerai sur vous pour cette somme convenue de mille louis, en vous faisant tenir mon obligation. Je promettrai le remboursement en quatre paiemens de deux cent cinquante louis chacun, à la fin de chaque année, de manière que vous serez remboursé ou par moi, ou par mon héritier, à la fin de la quatrième. Il me semble que vous y consentez ; ainsi tout est dit[1]. »


Quelques jours plus tard, effrayé par les menaces révolutionnaires qui grondaient en Piémont, il écrivait encore :


« Je prends un intérêt immense à tout ce qui se prépare. Ayez aussi de votre côté un peu de pitié de ceux qui sont assis sur le bord du volcan. Je ne sais si, dans le moment d’une explosion, il ne vaudrait pas mieux être dedans. Je suis désespéré de n’avoir pu vous voir, d’autant plus que mes fers se rivent tous les jours davantage. Le bruit s’est répandu tout à coup que j’allais être fait ministre de l’Intérieur et plusieurs voix ont ajouté : sans quitter la Chancellerie, ce qui ne se serait vu que deux fois dans notre monarchie. Je tremble de tous mes membres. Je suis dans un état que je ne puis vous décrire. Que n’êtes-vous là avec votre force pour m’en donner un peu ?

« J’ai voulu quelque temps douter de cet honneur et malheur ; mais le bruit et l’opinion s’affermissent à un point qui

  1. Joseph de Maistre eut part à l’indemnité des émigrés, mais fut loin d’être dédommagé de tout ce qu’il avait perdu en Savoie. Avec la faible compensation qui lui fut accordée et les mille louis que lui prêta le comte de Blacas, il acheta une terre de 100 000 francs, « seul héritage matériel qu’il légua à ses enfans, » nous dit son fils.