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les changemens que n’a point prévus la loi du Prophète. Il maintient, il n’innove pas. C’est l’Europe, ce sont les capitaux d’Occident qui, en quête de placemens avantageux et de débouchés commerciaux, à la recherche de pays neufs à ouvrir et à féconder, sont allés demander à la Turquie des concessions de chemins de fer. La plus importante, celle qui soulève aujourd’hui tant de préoccupations, a pour objet d’unir le Bosphore au golfe Persique ; c’est la ligne à peine commencée et déjà légendaire du chemin de fer de Bagdad.


Il semble que la mystérieuse cité d’Aroun-al-Raschid, avec ses poétiques légendes qui hantent l’imagination populaire, avec les souvenirs de sa merveilleuse splendeur du temps des Khalifes, avec ses mosquées arabes aux dômes en forme de tiare, ses bazars, ses caravansérails, — il semble que Bagdad ait exercé une attraction irrésistible sur les grands entrepreneurs de chemins de fer. Tous ont plus ou moins caressé le rêve de pousser le rail jusque-là. Nombreux sont leurs projets et variés comme les ambitions qui les ont fait naître[1].

On parlait beaucoup, à Londres, il y a une soixantaine d’années, de la navigation de l’Euphrate et des moyens d’atteindre Bagdad. Des propositions répétées à la Chambre des communes familiarisèrent l’opinion avec l’idée d’un railway traversant la Mésopotamie pour relier l’Europe aux Indes. En 1851, une Compagnie se forma dans le dessein d’établir une voie ferrée de Suédieh, l’ancienne Séleucie, dans le golfe d’Alexandrette, à Koweït, sur le golfe Persique. Ses directeurs, le général sir Francis Chesney et M. William Andrew, obtinrent de la Porte, en 1856, un firman de concession et la promesse d’une garantie d’intérêt pour le capital employé. Mais, n’ayant pas obtenu de gages pour cette garantie, ils ne purent pas ouvrir de souscription publique et laissèrent périmer leur concession.

Vers 1872, le (projet Séleucie-Koweit reprit quelque faveur. Les frais d’établissement étaient estimés à 10 millions de livres sterling pour une longueur d’environ 1 400 kilomètres. Mais le tracé présentait de graves inconvéniens. Il prenait pour tête de ligue sur la Méditerranée une échelle médiocre et sans avenir, dont la rade, moins sûre que celle d’Alexandrette, ne sert qu’à

  1. A. Chéradame, la Question d’Orient (La Macédoine. Le Chemin de fer de Bagdal). Plon. 1903.