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ont imaginé une légende sur cette chambre rouge, close et parfumée : ils disent que, dans cette maison, le poète a fait une église, »

C’est, sans doute, dans cet asile que l’artiste a reçu la visite de Maria Ferrès, cette créature idéale dans laquelle sa fougue, qui veut avoir tout connu, s’est plu à adorer les puissances mystiques de la femme.


.., Elle avait le visage ovale, peut-être un peu trop allongé... Les traits délicats avaient cette expression de souffrance et de lassitude qui donne aux Vierges leur charme humain, dans les bas-reliefs florentins... Rien ne surpassait en grâce cette tête si fine, qui semblait peiner sous le fardeau de ses cheveux comme sous un châtiment divin.


Un Sperelli devait s’arrêter à l’adoration d’une telle femme de la même façon qu’un enfant se mire dans une source, sourit à sa transparence, et s’empresse d’y jeter des pierres pour constater qu’il a le pouvoir de la troubler.

M. d’Annunzio a, une fois pour toutes, indiqué jusqu’où il veut aller dans cette voie mystique quand il a dit, de son Georges Aurispa, qu’il est « un ascète sans Dieu »[1].

Pour un homme de cette nature, la mysticité est quelque chose comme le traitement par le lait, l’isolement et l’air pur.

Le lien entre toutes ces tendances qui, au premier abord, semblent contradictoires, alors que parfois elles se complètent l’une l’autre, est chez M. d’Annunzio un goût passionné de la vie.

Il y a, dans les Vierges aux Rochers, un certain Cantelma qui sert ce jour-là de masque à l’auteur. Il descend d’ancienne et noble race de guerriers. Il est reconnaissant à ses aïeux de lui avoir transmis leur sang riche et fervent. Il les loue « pour les belles blessures qu’ils firent, pour les beaux incendies qu’ils allumèrent, pour les belles femmes dont ils jouirent, pour toutes leurs victoires, pour toutes leurs ivresses, pour toutes leurs magnificences... » Les meilleures tendresses de Cantelma vont à un guerrier de sa lignée que Léonard de Vinci a peint tout bardé de fer avec cette devise dans ses armes : Cave adsum ! Cantelma croit entendre cet aïeul adoré lui dire : « Sois tel que tu dois être ; » il rêve d’accomplir la grande espérance que la

  1. Voyez l’Enfant de volupté.