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V

Don Juan regrettait qu’il n’existât point d’autres mondes pour y pousser ses conquêtes : dans un ordre d’idées différent, M. d’Annunzio pense, — et il l’a dit en termes clairs, — que l’artiste italien contemporain a le devoir d’être cosmopolite et de communier en pensée avec les préoccupations de l’univers :


Ou a remarqué récemment, écrit-il, que les caractères « nationaux » vont disparaissant dans les grandes œuvres d’art modernes. On a noté comment peu à peu se forme une espèce de littérature « européenne. » En effet, les idées ne sont pas le patrimoine d’une nation, mais flottent et se répandent à travers le monde. L’art moderne doit avoir un caractère d’ « universalité, » il doit comprendre et harmoniser dans un vaste cercle lumineux les aspirations les plus diffuses de l’âme humaine.


Après cette déclaration, on comprend quel dédain M. d’Annunzio doit éprouver pour ceux qui lui reprochent d’avoir reflété, dans son œuvre, ses admirations littéraires pour les grands écrivains qui enchantaient le monde des lettrés, à la minute où lui-même il a commencé de publier. Il s’est d’ailleurs expliqué avec une netteté parfaite sur les vraies. origines de son inspiration, non point devant une Académie diserte, ni dans des notes écrites pour l’édification ultérieure de la critique, mais à la face du peuple italien, dans son surprenant discours à ses électeurs d’Ortona :


... Mon âme, déclare-t-il, mon âme, sur laquelle j’ai versé le vin le plus robuste de l’antique sagesse et la plus subtile essence des rêves nouveaux, elle qui dans ses pérégrinations infinies a atteint les limites extrêmes imposées à l’avidité de connaître, et qui a dépassé les cimes aériennes où le rythme de la vie idéale prend une célérité inconnue aux pulsations humaines, — mon âme est toujours restée filialement et étroitement attachée à sa première mère. Elle n’a jamais cessé de sentir palpiter en elle le génie de la région. Une fraîcheur terrestre, secrète et indestructible persiste dans le centre de son ardeur la plus forte. Telle, au milieu de la forêt incendiée, la source coule intarissable sous les mille langues de feu qui la dessèchent. C’est pourquoi je reste au milieu des dissolutions dans une unité et une ampleur qui forment ma joie.


Ce « vin de l’antique sagesse » que l’écrivain a connu si robuste et si tonifiant, ce sont les Belles-Lettres et les Arts latins. On sait qu’il a vécu son enfance dans la dégustation extasiée des élégiaques de son pays, Catulle et Tibulle. Il a conté lui-même