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elle-même. On ne saurait, en effet, trop répéter que la plupart des hommes demandent avant tout trois choses aux femmes : d’être ou de paraître jolies, de les écouter ou d’en avoir l’air, de bien faire ou faire faire la cuisine, de gouverner leur ménage sans recourir aux emprunts, sans dépasser les crédits ouverts. Pitt laissait 40 000 livres sterling de dettes : la Chambre des communes vota les crédits nécessaires pour rembourser les créanciers, ainsi qu’une pension de 1 200 livres sterling pour Hester, de 600 livres pour chacune de ses sœurs. Fox, l’adversaire de Pitt, proposa à sa nièce de demander en sa faveur quelque grosse sinécure. Le Roi lui offrait d’habiter Windsor : elle refusa. Pendant deux ans et plus, elle essaiera de faire figure, de s’habituer à une existence modeste ; mais le souvenir du passé la hante ; ceux qu’elle n’avait pas épargnés se déchaînent ; les livres l’ennuient, la solitude exacerbe ses rancœurs. Avoir connu les ivresses du pouvoir, vécu dans cette atmosphère brûlante de la politique qui renouvelle pour les déchus le supplice de Tantale ; sentir en soi des forces inemployées, et, comme Machiavel, tendre au ciel des bras las du repos ; voir des hommes qu’on dédaigne diriger la barque où l’on avait une des meilleures places, voilà sans doute une douleur amère, la douleur de ceux qui ont été précipités d’en haut par leur faute, ou par la malignité des hommes et des événemens. Hester ne put supporter sa croix : incapable de sérénité, de véritable philosophie, prenant en aversion cette Angleterre, qui déjà commençait d’oublier son oncle, l’accusant des déceptions de son orgueil, elle r »solut d’aller chercher au loin des émotions. Si l’Asie n’était point la patrie de son âme, peut-être serait-elle la patrie de son ambition, peut-être de nouveaux rêves ardemment poursuivis créeraient-ils des réalités consolatrices.

Ici s’arrête la vie européenne, anglaise, sédentaire, de lady Stanhope ; ici commence sa vie orientale, nomade, fantastique, ensoleillée par l’espérance, par les dons charmans et dangereux de la folle du logis, par un besoin d’action qui suit tous les sillages, se lance à travers les récifs, aborde parfois les rivages fortunés. Cette nouvelle existence se partage elle-même en deux parties : les voyages, 1809-1817 ; la résidence à Mar-Elias et à Djoun, 1817-1839. Et d’avoir mené à bonne fin les expéditions aux ruines de Palmyre ou Tadmor et de Baalbeck, cela semble fort simple à une époque où les explorateurs parcourent en tous