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nous montrent qu’à cette époque les proconsuls romains, toujours pourvus de faibles milices, gouvernaient la Gaule par l’entremise des grandes familles, en se contentant de laisser fonctionner librement les anciennes institutions nationales[1], c’est-à-dire d’empêcher les révoltes et les guerres entre les différens peuples et de percevoir un léger tribut. Peut-être même la Gaule cessa-t-elle à cette époque de payer ce tribut. Ce régime n’était donc ni dur, ni sévère ; et la Gaule n’avait pas tardé à réparer tous ses malheurs. Les légions une fois parties, on en avait fini avec les contributions de guerre extraordinaires, les exactions, les rapines, les violences. Le tribut de 40 millions de sesterces, même s’il fut payé, n’épuisait pas un pays naturellement aussi riche. La paix intérieure avait dispersé les bandes des cavaliers et des cliens dont la noblesse s’était servie dans ses guerres : les uns étaient devenus des artisans, les autres des agriculteurs[2] ; d’autres encore s’étaient enrôlés dans la cavalerie romaine, et étaient allés pendant les guerres civiles saccager l’Italie ou les autres régions de l’Empire, pour ramasser ainsi un peu d’or qu’ils rapportaient dans leur pays. Enfin, la conquête de César avait remis en circulation beaucoup de trésors inutiles qui dormaient dans les temples ou dans les maisons des riches ; et si une partie de ce capital avait été emportée en Italie, une autre, très considérable, était restée en Gaule et avait passé dans un très grand nombre de mains. La guerre d’abord et ensuite la paix avaient rendu à la Gaule des capitaux, des bras, une certaine sécurité ; et ainsi, dans ce pays qui, alors comme aujourd’hui, était très fertile[3], bien irrigué, couvert de forêts et riches en minerais[4], la richesse en vingt-cinq années s’était beaucoup accrue.

Protégée par les Alpes, protégée par le fantôme de Vercingétorix, — et ce fut là le vrai service rendu à son pays par le vaincu d’Alésia, — la Gaule avait donc pu, lentement et paisiblement, pendant les vingt années de guerres civiles si funestes à

  1. Voyez l’intéressante étude d’Anatole de Barthélémy, les Libertés gauloises sous la domination romaine, dans la Revue des questions historiques, 1872, p. 368 et suiv.
  2. Strab., 4, 1, 2 (178) : νῦν δ' ἀναγκάζονται γεωργεῖν, ϰαταθέμενοι τὰ ὅπλα….
  3. Strab.. 4, 1, 2 (178) : ἡ δ' ἄλλη πᾶσα σῖτον φέρει πολῦν ϰαὶ ϰέγχρον ϰαὶ βάλανον ϰαὶ βοσϰήματα παντοῖα, ἀργὸν δ' αὐτῆς οὐδὲν, πλὴν εἴ τι ἕλεσι ϰεϰώλυται ϰαὶ δρυμοῖς.
  4. Voyez les preuves données par Desjardins, Géographie historique de la Gaule, vol. I, Paris, 1876, p. 409 et suiv.