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adopter les enfans qu’il préférait et leur donner son nom[1].

Le contact des grandes fortunes avec la gêne de ceux qui n’avaient qu’une petite aisance et qui étaient de plus en plus attirés par le grand luxe, faisait naître une dépravation encore pire. Parmi les femmes issues de familles de chevaliers ou de sénateurs peu riches et qui avaient épousé des chevaliers ou des sénateurs n’ayant eux-mêmes qu’une petite fortune, bon nombre travaillaient, avec le consentement de leurs maris, à faire une sorte de contre-révolution singulière, en reprenant aux Crésus de Rome, grâce à leurs caresses, une partie des biens dont ceux-ci s’étaient emparés par violence et grâce à la révolution. Malgré leur goût pour la morale sévère des anciennes époques, les hautes classes jugeaient avec indulgence cette prostitution élégante, parce que les uns en tiraient du plaisir et les autres de l’argent. L’adultère, que dans l’ancien droit le mari pouvait punir en tuant sa femme et son amant, devenait pour beaucoup de chevaliers et de sénateurs un excellent commerce ; et l’on voyait grandir à Rome le nombre des femmes dont on savait que leur cœur se vendait aux enchères. Quelle chute pour cette noblesse qui était restée si longtemps à l’abri du soupçon et du mépris ! Un des poètes les plus sceptiques de l’époque semble avoir lui-même éprouvé un jour un frémissement de douleur et d’horreur en voyant la noblesse romaine précipitée des hauteurs d’une vertu impérieuse et fière dans l’avilissement de cette prostitution mondaine ; et il a fait raconter cet obscur mais terrible drame de l’histoire de Rome, par la porte d’une maison illustre, en quelques vers que l’on ne peut pas lire sans émotion, tant ils sont tragiques, bien que le poète veuille plaisanter comme à l’ordinaire. « Moi qui m’ouvrais jadis, dit la porte pour les grands triomphes…, moi dont le seuil a été foulé par tant de chars dorés et qui fus baignée par les larmes de tant de prisonniers supplians, je gémis

  1. Voici une liste de passages trouvés dans les poètes de ce temps qui font allusion à cette dépravation et lancent leurs imprécations contre les vénalités de l’amour : Horace, Carm., 3, 6, 29. — Tibulle, 1, 4, 59 ; 1, 5, 47 et suiv. ; 1, 8, 29 et suiv. ; 2, 3, 49 et suiv. ; 2, 4 (toute l’élégie) ; 1, 7. — Properce, 1, 8, 33 et suiv. — Ovide, Am., 1, 8 ; 1, 10 ; 3, 8 ; 3, 12, 10 ; Ars Amat., 2, 161 et suiv. ; 2, 275 et suiv. Il me semble peu probable qu’un motif répété aussi souvent et sous tant de formes diverses, avec tant de détails vifs et précis, soit purement conventionnel et provienne d’imitations littéraires. Il pouvait y avoir de l’exagération dans cette peinture de mœurs, mais elle devait cependant être prise sur la réalité. Nous verrons en effet que la lex Julia de adulteriis essaya de punir ce honteux commerce.