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guerres ; l’art criminel d’un cruel forgeron n’avait pas encore martelé l’épée[1]… » « Quel est celui qui le premier a forgé l’épée terrible ? Ce fut un barbare, un homme au cœur de fer, qui déchaîna les massacres et les guerres, et raccourcit la route de la mort. Mais non, ce n’est pas la faute de ce malheureux ; c’est la nôtre, à nous qui tournons contre nous-mêmes le fer qu’il nous avait donné pour lutter contre les botes féroces. C’est la faute de l’or. Il n’y a pas eu de guerre, tant que l’homme a bu dans une coupe en bois[2]… O dieux Lares, éloignez de moi les flèches d’airain[3]… Aimez-moi ainsi, et que d’autres aillent à la guerre[4]… Quelle folie de courir au-devant de la mort[5]… Combien il est plus digne d’éloges celui qu’une vieillesse paresseuse surprend parmi ses enfans dans une petite demeure[6]… Oh ! vienne la paix et qu’elle féconde nos campagnes. C’est elle qui la première a courbé sous le joug le cou des bœufs pour le labour ; c’est elle qui a cultivé la vigne et tiré le jus du raisin, pour que le fils pût boire le vin récolté par le père. On voit pendant la paix reluire le soc de la charrue et la houe, tandis que l’épée se rouille[7]. » Et cet amour qui a peur de la mort, qui a peur de l’épée, qui cherche une retraite cachée au fond des villes populeuses et des campagnes solitaires, qui se nourrit de plaisirs sensuels et de fantaisies sentimentales, Tibulle, dans la première élégie du second livre, l’invoque presque comme un des dieux Lares ; il le place parmi les divinités tutélaires de la famille qu’il rend stérile ! Il finit par imaginer que Vénus seule pourra triompher de la férocité qu’ont fait naître à son époque les guerres civiles ; si bien que les voluptés de l’amour lui apparaissent comme la force purificatrice et régénératrice de son époque pervertie et corrompue.[8]. Moins tendre, moins sentimental, mais plus passionné, Properce se vante, — quelle honte pour un ancien Romain ! — de renoncer pour l’amour d’une femme à la gloire, à la guerre, et au pouvoir[9]. Il est heureux

  1. Tibulle, I, 3, 47.
  2. Ibid., I, 10, 1 et suiv.
  3. Ibid., I, 10, 25.
  4. Ibid., I, 10, 29.
  5. Ibid., I, 10, 33.
  6. Ibid,, 1, 10, 39.
  7. Ibid., I, 10, 45.
  8. Ibid., 2, 3, 35 : Ferrea non Venerem, sed praedam saecula laudant.
  9. Properce, 1, 6, 29.