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de la Veritas, si chers aux anciens Romains, qu’Horace évoque encore dans les vers écrits pour la mort de Quintilius Varus, où le sentiment d’amitié est exprimé avec une si grande douceur[1] ? Ou ce Mercure homérique, qui a sauvé le poète dans la bataille de Philippes, en l’entourant d’un nuage ? Ou ce dieu Faune qu’il invoque aux nones de décembre, dans un délicieux petit tableau bucolique, pour qu’il protège sa propriété[2] ? Ou Vénus et Cupidon et Diane sous leur forme grecque ? Ou ces innombrables divinités que le polythéisme grec avait disséminées dans tous les recoins les plus cachés de la nature, et qu’Horace entrevoyait jusque dans la fontaine Bandusie, « aux eaux plus limpides que le verre[3] ? »

On ne saurait dire si les croyances d’Horace sont une religion morale ou une religion esthétique. Parfois dans ses poésies civiles il invoque les dieux comme les régulateurs suprêmes du monde, mais dans d’autres poésies il les mêle à tous les actes et à tous les événemens humains, parce qu’ils sont beaux et lui donnent l’occasion de composer des strophes magnifiques. Sa conception politique et morale de la vie étant contradictoire, et sa conception religieuse incertaine, quel but bien défini la vie peut-elle donc avoir pour Horace ? Ce ne sont pas les vertus publiques et privées dont il ne se sent pas capable, et dont il ne croit pas que ses contemporains le soient plus que lui ; ce n’est pas le plaisir physique, ni le plaisir intellectuel qui, il le comprend bien, ruineraient le monde si on les prenait comme fin suprême de tous les efforts humains ; ce n’est pas non plus un mélange de devoir et de plaisir, car il ne voit pas comment on pourrait faire le partage de l’un et de l’autre ; ce n’est pas une obéissance servile à la volonté des dieux, qui sont maintenant trop nombreux, trop différens les uns des autres et qui s’accordent trop mal entre eux. Aussi, effet naturel de tant d’incertitude, on voit apparaître, à l’extrême horizon de ce grand vide moral, le fantôme qui projette son ombre sur toutes les époques peu sûres d’elles-mêmes, la peur de la mort. Quand l’homme ne réussit pas à se persuader que la vie tend vers un but idéal que nul homme, à lui seul et réduit à ses propres forces, ne pourra jamais atteindre ; quand le fait de vivre

  1. Horace, I, 24, 6.
  2. III, 18.
  3. III, 13.