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et débordant le monde au ciel comme sur la terre, riant, niant, criant, priant, ivre, quand les humanistes parlent, de joie païenne, et, quand les piagnoni passent, abîmée dans la pénitence chrétienne, tour à tour emportée par l’amour de ressusciter et par la rage de détruire, possédée de toutes les folies du beau, depuis la folie de la chair jusqu’à la folie de la croix : trois siècles au moins ainsi faits, et dix ou douze générations, que de choses et quels hommes ! Quelle psychologie et quelle politique ! Quel document et quelle leçon ! Machiavel entend n’en pas perdre et n’en pas laisser perdre un mot. Pèlerin passionné, il refait « de bonnes jambes, » suivant l’expression favorite de son héros César, le chemin des révolutions de Florence.

Il a eu soin de nous prévenir, en son Proemio, que, dans les quatre premiers livres des Istorie, il ne ferait que résumer rapidement ce qui était advenu, à Florence et en Italie, depuis la chute de l’empire romain jusqu’aux Médicis (1434) ; et que seuls les quatre derniers livres descendraient au détail des événemens, à mesure qu’ils se rapprocheraient de la période contemporaine. Du point de vue spécial où l’on doit se placer quand, comme nous, on recherche les sources du machiavélisme, les premiers livres des Histoires florentines n’en sont pas moins ceux qui présentent peut-être le plus vif intérêt ; ou, pour préciser, les plus intéressans, à ce point de vue, sont les livres II, III, IV et VII. Ce sont ceux où « la matière » du machiavélisme est recueillie avec le plus d’abondance ; je veux dire ceux qui contiennent presque toute la somme d’expériences pratiques d’où, plus tard, Machiavel tirera ses conclusions théoriques, dégagera ses formules. La raison en est que, de la chute de l’empire romain à 1434, les quatre premiers livres couvrent une bien plus longue durée que les quatre derniers, de 1434 à 1492, et que, sauf une douzaine d’années sous Cosme, Pierre et Laurent (livre VII), de 1434 à la réforme profonde, à la révolution de 1494, la nerveuse Florence se tient relativement tranquille sur son lit. Mais que ce soit à telle ou telle page, peu importe : là, certainement, dans les Istorie fiorentine, est une grosse part ; là, probablement, est la plus grosse part de la substance dont le génie de Machiavel s’est nourri, bien que les Istorie soient, par rang de date, postérieures aux deux ouvrages qui renferment l’essence même du machiavélisme, le Livre du Prince et le Discours sur la