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tout, il se les transfère tous, il se les assimile, il en fait sa substance, il s’en fait un capital. Machiavel n’est pas ou n’est plus un humaniste qui admire et qui imite, mais un politique qui apprend et qui utilise ; il ne lit pas pour le plaisir de lire, parce qu’il n’écrit pas pour le plaisir d’écrire.

C’est aussi bien le point de vue où se placera après lui Donato Giannotti : il empruntera aux anciens… « Il n’est pas besoin de m’étendre sur cette matière, car elle a été longuement prouvée par Aristote ; duquel, comme d’une source abondante, qui a répandu par tout le monde de très larges fleuves de doctrine, j’ai pris tous les fondemens de mon bref discours. » Mais il appliquera aux modernes, et à tels modernes nommément désignés, nettement déterminés. Les sages de l’antiquité qui ont traité du gouvernement des républiques l’ont fait « en général, » et ne se sont pas bornés à considérer une seule cité ; au contraire, « par la grandeur de leur esprit et de leur vertu, ils ont embrassé tous les gouvernemens qui se peuvent introduire dans toutes les cités. Mais notre intention est de traiter seulement du gouvernement de notre ville, non seulement parce que par-dessus toutes choses chacun est obligé à sa patrie, mais encore parce que, soulevant un grand faix, les forces de mon esprit ne suffiraient pas à le porter… Notre sujet est donc la cité de Florence telle qu’elle est, dans laquelle nous voulons introduire une forme de république qui convienne à sa qualité ; parce que toute forme ne convient pas à chaque cité, mais seulement celle-là qui peut en une telle cité longtemps durer. »

C’est encore l’idée qu’exprime Guichardin, soit directement et personnellement, dans ses Ricordi, soit par la bouche des quatre Florentins de distinction qu’il fait parler dans son Reggimento. De ces quatre interlocuteurs, son père seul, Piero Guicciardini, peut, à un degré quelconque, passer pour un philosophe, ami d’un ami de Platon, disciple de Marsile Ficin. Les trois autres n’y prétendent pas, et plutôt ils s’en défendraient. Comme on le complimente sur la connaissance qu’il montre des Grecs et des Romains, le vieux Bernardo del Nero, sans nier qu’il ait parfois goûté la conversation de ce même messer Marsile, fait cet aveu, auquel pourraient plus ou moins s’associer Piero Capponi et Pagolantonio Soderini : « Je n’ai pas de lettres, et vous, le savez tous : mais j’ai eu plaisir à lire les livres traduits en langue vulgaire, autant que j’en ai pu avoir, d’où j’ai appris quelqu’une