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Dis-moi ? Veux-tu descendre au village lointain,
Voir la table du maître et t’asseoir au festin ?
Ou bien, plus bas encor, au fond de la vallée,
Te perdre dans la ville à tes yeux révélée,
Oubliant tes rochers calcinés, les bouleaux,
Tes torrens, tes sapins, tes pics et tes ormeaux ?
Quand meurt le crépuscule aux cieux, quand l’oiseau chante,
Quand le bœuf ruminant mâche un parfum de menthe,
As-tu la nostalgie en ce calme du soir
Des mille et mille feux qui brillent dans le noir,
Et du grand bruit que font tant de paroles vaines
Qui tombent au hasard de nos lèvres humaines ?
Veux-tu quitter ces monts et ces herbages frais,
Ces abîmes sans fond où plongent les forêts,
Perdre loin de ces lieux le repos de ton âme,
Pour rechercher l’ivresse et brûler à sa flamme ?
Reste sur tes sommets, pâtre, tout près du ciel,
Au nid des aigles. Prends à tes ruches leur miel ;
Bois le lait de ta chèvre et cueille la myrtille ;
Tisse tes vêtemens qu’une bergère file.
Qu’importe l’âpreté du climat, le pain dur ?
Sur les ailes du vent tu planes dans l’azur.
Dans la rue on étouffe. Ah ! bénis ta demeure.
Ta grande paix vaut mieux que nos plaisirs d’une heure


MOUETTE


Emporte mon message, ô ma sœur blanche et grise :
Dans ton plumage fin qui frissonne à la brise,
Sur ton petit cou chaud, au fond des lointains bleus,
Emporte-le bien haut sur l’Océan houleux.

Sache échapper au froid, au vent, à la tempête.
Va, ne t’arrête pas, ne tourne point la tête,
Alors que surgiront des abîmes amers
Les sirènes, chantant sur l’écume des mers.

Prends avec toi mon souffle et mon âme fidèle,
Poids léger dans l’air pur que tu fends de ton aile ;
Sur la grève déserte, au moins, ne les perds pas !
Songe qu’il les attend, l’absent aimé, là-bas.