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Mais, quelque confiance qu’on puisse avoir dans la véracité d’un frère Léon, d’un évêque Eustachi ou d’un autre témoin, on a bien le droit de penser que tous ces croyans, une fois convaincus de l’origine divine des stigmates, ont été portés involontairement à exagérer dans leurs descriptions la ressemblance de ces marques avec les plaies de Jésus-Christ. Qu’ont-ils vu en somme, si on distingue le fait de l’interprétation qu’ils y ont jointe et que le terme de stigmate implique déjà ? Ils ont vu, suivant les cas, des érosions sanguinolentes, de petites plaies plus longues que larges, des durillons charnus, des taches bleuâtres ou rougeâtres, c’est-à-dire des modifications très diverses de la peau qu’ils n’auraient vraisemblablement pas remarquées si elles n’avaient apparu aux endroits mêmes où Jésus fut blessé de la lance et percé des clous. Du moment qu’on parle de stigmates, on doit nécessairement exagérer les analogies réelles, et cette exagération était à peu près inévitable pour des esprits qui ne séparaient pas la stigmatisation de l’explication théologique à laquelle ils croyaient tous. Rien n’est plus instructif sur ce point que de comparer la description des stigmates chez un auteur du moyen âge et chez un médecin moderne. Tandis que Thomas de Célano décrit, d’après les témoignages contemporains, les têtes rondes et noires des clous qui perçaient les mains de saint François et leurs pointes qui dépassaient de l’autre côté, le docteur Warlomont constate chez Louise Lateau de petites plaies dorsales et palmaires qui reposent sur de légères indurations mobiles[1]. C’est très vraisemblablement le même phénomène de part et d’autre, mais l’observateur impartial voit « de légères indurations mobiles, » là où le croyant voyait avec une entière bonne foi des têtes et des pointes de clous. On a donc le droit de négliger quelques-unes des ressemblances merveilleuses et précises que les historiens des mystiques ont signalées dans les faits déjà si étranges de la stigmatisation ; mais, à cette réserve près, on ne peut douter qu’ils aient vu les faits qu’ils rapportent, et, à vrai dire, ce n’est pas de cette authenticité matérielle que la psychologie a jamais douté.

Ce qui la préoccupe beaucoup plus, c’est la bonne foi des stigmatisés eux-mêmes. Ont-ils vu réellement ces stigmates éclore sur leur peau ? Ne se seraient-ils pas ouvert la paume des mains

  1. Louise Lateau, par le docteur Warlomont, p. 44. Paris, 1875.