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du gouvernement lui-même. Le gouvernement espérait découvrir dans les papiers de la nonciature les élémens d’un complot, et son espérance a été trompée ; la Chambre, plus modeste, y cherchera de quoi faire la petite guerre à quelques-uns de ses membres, et à déconsidérer en dehors d’elle quelques malheureux qui n’y peuvent rien. Pour aboutir à un aussi pauvre résultat, on aura violé impudemment ce qui, jusqu’à ce jour, avait paru le plus sacré, et préparé les voies à un avenir plein de dangers. Le coup de tête de M. Clemenceau nous aura coûté cher.


Il y a aussi l’affaire d’Orléans, dont il est impossible de ne pas parler, car c’est un bel exemple, d’ « incohérence. » On sait que depuis 1429, date de sa libération par Jeanne d’Arc, Orléans célèbre cet immortel épisode par des fêtes dont le caractère n’a jamais varié. Elles n’ont été interrompues que pendant la période révolutionnaire : cette période une fois close, elles ont recommencé chaque année, à la même date, dans les mêmes conditions qu’auparavant.

La fête consiste essentiellement dans une procession, à laquelle l’élément religieux prend une grande part. Quoi de plus naturel ? Il ne s’agit pas là d’une manifestation en quelque sorte arbitraire, qu’on puisse régler, c’est-à-dire modifier selon les idées du jour et la fantaisie du moment, mais bien de la figuration sans cesse renouvelée de ce qui s’est passé à Orléans le 8 mai 1429. C’est avec leurs souvenirs très précis que les Orléanais d’alors ont opéré cette mise en scène qui avait à leurs yeux, et qui a conservé à travers les siècles, un sens historique parfaitement déterminé. Ils ont voulu perpétuer, au moyen d’une représentation aussi exacte que possible, l’événement qui s’était passé sous leurs yeux, le plus grand de leur histoire, un des plus grands de l’histoire de France, dont le souvenir mérite de rester dans la mémoire des hommes inaltérable et inaltéré. La figure de Jeanne d’Arc plane en quelque sorte sur cette fête orléanaise, qui est beaucoup plus qu’une fête locale, et où il semble vraiment qu’il soit resté quelque chose des sentimens dont l’héroïne s’est inspirée. Il n’y a plus de divisions de partis à Orléans le jour de la fête du 8 mai. Tout le monde se trouve d’accord comme par enchantement. Cette union de tous les Français que Jeanne avait rêvée dans un coin de la Lorraine et qu’elle a un moment réalisée autour de sa bannière, se reforme, pour quelques heures, dans la procession du 8 mai, comme si le grand cœur de cette fille du peuple continuait, après cinq siècles environ, le prodigieux miracle qu’il a accompli.