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le pied dessus et les éteindre : au Nord, la question du Sleswig, au Sud, celle de la ligne du Mein. Quoique sympathiques aux Danois, nous n’avons pas le droit d’engager notre pays dans un conflit, pour assurer la tranquillité de quelques milliers d’entre eux injustement opprimés. Quant à la ligne du Mein, elle a été franchie depuis longtemps, du moins en ce qui nous intéresse. Les traités d’alliance n’ont-ils pas créé l’unification militaire de l’Allemagne et le renouvellement du Zollverein son unité économique ? L’unité allemande contre nous était finie ; ce qui restait encore à faire, l’union politique, n’importait qu’à la Prusse à laquelle elle apporterait plus d’embarras que de forces. Quel intérêt avions-nous à empêcher les démocrates du Wurtemberg et les Ultramontains de Bavière d’aller ennuyer Bismarck dans ses parlemens puisque, au jour du combat, l’Allemagne serait tout entière contre nous ?

L’Empereur avait écouté très attentivement, sans m’interrompre, les longues explications que je résume. Quand j’eus terminé, il me dit : « Je suis de votre avis en ce qui concerne les Danois du Sleswig, mais en Allemagne il serait imprudent de se prononcer ouvertement sur le parti que l’on prendra si la Prusse franchit le Mein ; annoncer qu’on la laissera faire serait l’enhardir ; dire que nous l’arrêterons serait déclarer la guerre. Il n’y a qu’à garder le statu quo et attendre en silence les événemens. En ce qui concerne Rome, il faut au contraire prendre un parti et évacuer le plus tôt possible. — Cela paraît bien difficile, Sire, tant que le Concile durera, car notre gouvernement doit mettre son honneur à assurer sa liberté. — C’est vrai. »

A la discussion des idées succéda celle des personnes. L’Empereur reconnut qu’aucune combinaison n’était en ce moment possible avec Rouher : « Il a eu tort de ne pas s’en aller après le 19 janvier. — Non, Sire, son tort n’est pas d’être resté, c’est d’avoir exécuté mal les réformes. — Puisque nous parlons à cœur ouvert, continua-t-il, je vous dirai qu’il y a deux de vos amis que je ne pourrais accepter : Napoléon et Girardin. Ce sont deux esprits faux ; de plus, Girardin est un faiseur d’affaires, il joue à la Bourse. » — Je les défendis vivement : « Je suis persuadé que le Prince ne nourrit aucun mauvais sentiment contre le Prince impérial ni contre l’Impératrice ; ses impétuosités viennent souvent d’une activité qu’il ne sait comment employer. — C’est sa faute ; il n’a profité d’aucune des occasions que je lui ai