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soutenus, le sentant menacé, le soutiendront mollement, la Chambre se divisera, et il ne se passera pas six mois avant qu’on soit acculé à une dissolution ou à un coup d’État. « Quant au retour de M. Boulier, ont dit ces deux messieurs, ce seraient les trois quarts de la France se précipitant dans le parti révolutionnaire. » On me dit que Talhouët, fort accommodant il y a quinze jours, pense maintenant comme Daru et Buffet, et je sais que, sans Talhouët et Buffet, Segris n’acceptera rien. Buffet m’a fait remarquer aussi que Magne et Gressier avaient écrit des circulaires plus compromettantes que celles de Forcade. Ah ! Sire, quel mal vous ont fait vos ministres depuis deux ans, et quel malheur que mes supplications sur la manière de conduire les élections n’aient pas été entendues ! Combien tout serait facile et combien au contraire tout est difficile ! Je crois que Votre Majesté sera obligée d’en revenir à ce qui a été mon impression première : laisser le ministère se présenter devant les Chambres tel qu’il est composé. Il est probable qu’il succombera. Alors vous aviserez. S’il ne succombe pas, si Forcade reste maître de la situation, ainsi qu’il en est convaincu, vous aviserez avec plus de facilité encore. Plus j’y réfléchis, d’ailleurs, plus je sens que le temps des demi-mesures est passé. Si l’opinion publique n’est pas vivement fouettée, elle ne réagira pas. Arrêtez-vous définitivement dans la voie des concessions, n’accordez plus rien, serrez les freins, préparez-vous à reprendre Rouher malgré tout ou lancez-vous à toute vitesse dans le régime parlementaire ; ne marchandez pas sur les détails, sur les formes, et chargez quelqu’un de former un cabinet ; vous n’aurez jamais été plus nécessaire qu’après six mois de ce régime. Ne vous blessez pas, Sire, de la liberté de mon langage, car vous savez que je vous suis dévoué maintenant du fond du cœur (18 novembre). »

Daru et Buffet me remirent chacun une note que je communiquai à l’Empereur. Daru insistait surtout contre le maintien de Forcade : « Il y a à son égard des griefs particuliers et des récriminations sur lesquels on sera intraitable. Sa présence sera une provocation à un débat passionné sur les élections qui s’éteindrait naturellement faute d’alimens si le ministre n’était pas là ; elle serait aussi un obstacle absolu à la formation de la majorité au sein du Corps législatif et par suite cause d’une dissolution prochaine, qu’il est sage d’éviter, parce que ce serait une nouvelle cause d’agitations et de troubles. »