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et je resterai dans mon rôle de simple tirailleur. Demain je sortirai de ma réclusion, je déclarerai partout qu’il n’y a pas de crise et que le ministère est plus uni que jamais. Il vaut vraiment mieux voir les vagues se poursuivre et s’enrouler les unes aux autres que de former des ministères ! Pardonnez-moi, Sire, cette boutade et croyez-moi votre tout dévoué (18 novembre). »

L’Empereur me répond le 19, de Compiègne : « Mon cher monsieur Émile Ollivier, je réponds à votre lettre du 18 et à celle de M. Napoléon Daru. La logique gouverne le monde et la conséquence forcée des, observations de votre collègue serait la dissolution du Corps législatif. En effet, si les élections ont été si mal faites que le ministre de l’Intérieur ne puisse les défendre et que même sa présence dans le Cabinet soit un sujet de méfiance, il faut alors dissoudre une Chambre dont la majorité a été élue sous les auspices de ce ministre. À part ce point fondamental, je trouve les observations de M. Daru très justes ; le pays, je le crois, veut l’ordre et la liberté, mais il repousse les idées révolutionnaires. C’est pénétré de ces sentimens que je voulais relier le passé au présent, ne pas désavouer ce qui s’est fait, mais marquer en même temps par l’adjonction d’hommes nouveaux une ferme intention de persévérer dans ma voie libérale. Il ne s’agit pas pour moi d’amour-propre froissé, je me mettrai toujours au-dessus des petites passions du vulgaire parce que je n’ai en vue que le bien du pays, et lorsque je résiste à un conseil, je ne consulte que ma raison et ma conscience et nullement ma susceptibilité. Que faire maintenant ? Je l’ignore, je ne puis disposer de l’opinion et des volontés des autres ; il faut se borner à marcher en avant et enfin à tenir compte des manifestations qui sortiront du Corps législatif. Croyez, mon cher monsieur Émile Ollivier, à mes sentimens d’estime et d’amitié. »

La crise était terminée, et l’Empereur fit insérer au Journal officiel du 20 novembre la note suivante : « Plusieurs journaux parlent de modifications ministérielles. Les bruits répandus à ce sujet sont dénués de fondement. » La Bourse, qui s’était mise à monter, baissa soudain. On comprit que la crise restait aiguë et qu’un coup de despotisme pouvait en sortir aussi bien qu’un coup de liberté. Daru en fut particulièrement troublé. Il était alors à la campagne, à Becheville. Il prend le chemin de fer et accourt chez moi : « Je suis inquiet de la responsabilité que j’ai assumée ; peut-être ai-je été trop absolu. Si le ministère actuel