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pacifiques, Rembrandt — ce que nul n’avait fait ! — songe aux guerres récentes et aux gloires de la patrie. Il y voit quelque chose comme une « Marche héroïque. » Il lui donne le rythme d’une sorte de Marseillaise ou de Wilhelmus triomphal, et compose sur ce thème, avec l’indépendance suprême du grand artiste, daris les timbres plus sourds qui conviennent à une race plus grave, la symphonie monumentale d’un Véronèse noir. Et c’est ce qui a tout de suite été vu du public, surtout l’effort de style et de composition. Dans la Ronde, on a tout d’abord admiré l’ « œuvre d’art. » Hoogstraten, l’élève de Rembrandt, celui à qui on doit de si précieux détails sur l’atelier du maître, s’explique là-dessus à la perfection : « Un alignement de personnages, dit-il, ne fait pas un tableau. Rien n’est par malheur plus commun dans nos doelen d’arquebusiers. Les vrais maîtres savent donner de l’unité à leurs ouvrages. C’est ce qui a été supérieurement observé par Rembrandt au duel en d’Amsterdam ; trop bien même, au gré de plusieurs : car il s’est plus préoccupé de sa grande figure ou du groupe principal, qui avait ses préférences, que de la série de portraits qui lui étaient commandés. Cependant cette page durera plus que toutes ses pareilles, étant si pittoresque de principe, si élégante d’allures, et enfin si puissante que toutes les autres, en regard, ont la mine de jeux de cartes. » Hoogstraten a raison : la Ronde est encore aujourd’hui plus vivante que jamais. Elle est la « geste » populaire et l’épopée de la Hollande.

Tout montre que les contemporains ont salué en Rembrandt leur grand « classique » national, l’homme qui les consolait de n’avoir pas Rubens. Pourquoi s’en détachèrent-ils, et coin nient leur première ferveur finit-elle en mépris ? On répond quelquefois que dans sa nouveauté la Ronde fut un désastre, et que jamais l’auteur ne réussit à s’en relever. Après le témoignage tout différent de Hoogstraten, il faut bien trouver autre chose. Pourquoi ne pas admettre que le désordre de sa vie lui ait fait plus de tort qu’un tableau mal reçu ? Ce sont les choses qui comptent le plus pour les contemporains. Par son mariage avec une patricienne, par sa clientèle élégante, Rembrandt était du « monde, » ou tout voisin du monde ; on devait y être d’autant plus sévère pour ses fautes que, n’y étant pas né, on l’y tolérait seulement ; et depuis la mort de sa femme, il accumule les scandales. Voilà son vrai malheur en cette année de la Ronde. Avec