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cette aimable Saskia, il perd plus que le charme, — la dignité de son foyer. C’est d’abord un roman avec la nourrice de son fils, puis un second avec une servante plus fraîche. Et ce sont des scènes entre ces dames ! Il est fâcheux que la police ait si souvent affaire dans ce ménage de veuf. Ensuite c’est le tour de la censure ecclésiastique. On avait pardonné à Raphaël ses Fornarines. Mais c’est autre chose sans doute d’être un Romain de la Renaissance, adolescent et beau, fait comme un Prince Charmant, ou un citoyen d’Amsterdam, épié par une bourgeoisie étroite et pharisienne, et n’ayant du reste l’excuse ni de la grâce ni de l’âge : on le lui fit bien voir.

Mais le plus grave, ce furent ses dettes. Il avait, comme Balzac, la passion du collectionneur, l’amour du bric-à-brac, l’instinct des vieilles défroques, des choses étranges qui peuvent servir de document ou d’aliment au rêve, le flair d’un Cousin Pons ou d’un Elie Magus. Il avait aussi des goûts de luxe, la folie des tableaux, des armes, des statues, des belles et rares gravures. Et il avait enfin la superbe en affaires et l’insouciance d’un homme dont le talent vaut de l’or et qui souscrit des billets avec la certitude d’avoir toujours en soi plus qu’il n’en faut pour les payer. Au temps de sa splendeur, ses finances étaient déjà embarrassées. Et enfin ce fut la débâcle. En un jour douloureux, une journée d’hiver, en pleine rue, devant une porte d’auberge, le malheureux vit ses trésors se dissiper à la criée et se vendre à vil prix. Rembrandt subit l’arrêt d’un cœur sec et stoïque. Il ne se plaignit pas, il ne se laissa pas abattre. Rien, dans son imperturbable labeur, ne laisse deviner une défaillance ou une souffrance. Son écroulement le laisse impassible. A cinquante ans, ce pauvre hère grisonnant, trébuché de sa gloire, chassé de sa maison, expulsé de ses souvenirs, ramasse quelques hardes, déménage son chevalet et continue à peindre comme si de rien n’était. Dès lors, ses traces se perdent dans une petite existence tracassée et nécessiteuse, sans histoire, anonyme comme celle de tous les sans-le-sou. Il habite une ruelle dans le fond d’un faubourg, dans le quartier des marbriers. Sa maîtresse le fait vivoter d’un vague trafic de brocante. Et dans sa déchéance on le voit si serein, qu’on se demande s’il n’y trouve pas une espèce de bien-être. Est-ce un ingénu, un cynique ou un grand enfant ? Il est libre, et peu lui importe si c’est en bas plutôt qu’en haut. Il peint. Il