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doctrine fil fortuno. William Blake, l’illumine si fort à la mode aujourd’hui, — il illustrait lui-même ses élucubrations, et l’on dirait du Michel-Ange copié par Jocrisse, — Blake appelle ces deux maîtres « une paire de brutes » (two manifest fools). L’épigramme suivante n’est pas très distinguée, mais elle est significative :


Je demandais à mon ami Prig : « Quelle est la première partie de l’orateur ? » — Il répondit : « Une grande perruque. » — « Et la seconde ? » Il fit un pas de gigue, et avec une révérence, repartit : « Une grande perruque. » — « Mais la troisième ? » — Il ronfla comme un porc, enfla les joues et dit : « Une grande perruque. »

Demandez à un grand peintre (Reynolds) quelle est la première partie de la peinture ? Il vous répondra : « Une brosse. » (On voit le mouvement. La deuxième ? Encore une brosse. Et la dernière ? Toujours une brosse.) Et il conclut : « La brosse fait le peintre, soit : mais ce ne sera jamais qu’un Rembrandt. »


Et Ruskin raisonne comme Blake. Rembrandt, pour ce spiritualiste, n’est qu’un « tempérament, » une machine à peindre. Et Ruskin lui intente intrépidement un procès d’athéisme. « La vulgarité, l’épaisseur d’esprit, l’impiété s’exprimeront toujours en art par des bruns et des gris, comme chez Rembrandt, Caravage, Salvalor. » Et voilà l’auteur du Sacrifice de Manoé et de la Pièce aux cent florins damné sans miséricorde pour crime de « matérialisme, » unspirituality. Théologie, ce sont là de tes coups ! Et cependant Ruskin s’entend parfaitement ici avec Voltaire : l’un et l’autre ne découvrent dans Rembrandt que le « réaliste. » Mais l’un blâme ce que l’autre loue.


III

Ainsi, depuis le XVIIe siècle, on n’a vu chez Rembrandt que l’écorce de son art. C’est au romantisme qu’il était réservé de faire un pas de plus et de découvrir laine sous son enveloppe de matière. Il n’y réussit pas sans une foule de contresens qui embrouillèrent pour longtemps l’exégèse du maître. Mais il lui rendit le service d’en faire une figure singulièrement considérable.

D’ailleurs, et contre toute attente, les peintres romantiques s’inspirent très peu de Rembrandt. Il est, à leur gré, trop intime, trop bourgeois. Delacroix n’a jamais reconnu qu’un maître, Rubens et, à travers Rubens, Véronèse. Quant aux écrivains,