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n’avait mis dans ce lieu commun une âme qui n’est qu’à lui. Mais ne fût-ce que pour la définir, on est bien obligé de le replacer en son temps, pour ne pas s’exposer à lui attribuer en propre ce qui était à tout le monde. De même, il serait imprudent de vouloir faire de ce peintre, qui est peintre avant tout, le docteur trop intransigeant d’un dogme et d’une foi. Proudhon écrit : « Rembrandt, le Luther de la peinture. » Et il est manifeste que, dans les polémiques livrées en son honneur, on distingue sans peine le ferment anticlérical. Pour les ennemis de l’art classique, Rome, c’est sans doute Raphaël, mais c’est aussi le Vatican.

Or, il faut le dire puisque la querelle est devenue en partie une querelle religieuse : on ne sait pas à quoi s’en tenir sur la religion de Rembrandt. Et ce serait un chapitre curieux à écrire. Car sans parler de son inconduite privée, laquelle n’est point d’un rigoriste, et de sa longue persévérance dans un état coupable, qui suppose une conception particulière de ses rapports envers Dieu, on a le droit de douter sérieusement de la nature ou de la qualité de son protestantisme. Ses enfans ont reçu le baptême calviniste. Mais lui-même paraît avoir eu du penchant pour les anabaptistes. Plusieurs l’ont cru memnonite. Plus certainement encore il a passé sa vie à tourner et retourner autour de la Synagogue. Personne n’a jamais si profondément peint la Rible, ni le côté messianique et juif de l’Évangile. On a souvent noté ses relations avec les rabbins, entre autres avec ce Manassé ben Israël, dont il a illustré un livre, et on a pu se demander s’il n’était pas un converti. D’autre part, il est positif que plus d’une de ses œuvres est nuancée de catholicisme. Sa Sainte Famille de Munich est exemplaire à cet égard. Son imagination répugnait à un culte aride et sans images. On s’aventure à peine en lui soupçonnant le regret continu de n’avoir pas à faire des tableaux d’autel. Il y a plus. On a depuis quelques années la quasi-certitude que Rembrandt, en 1663, se trouvait en Angleterre. Sans doute il aura essayé de tenter à l’étranger la fortune, qui chez lui ne lui souriait plus. Or, une douzaine de morceaux de cette époque, trois ou quatre têtes de Christ, le sublime Pèlerin de la collection Kahn, un Saint François d’Assise, la Nonne d’Épinal, ont un caractère romain qui inclinerait à croire qu’en chemin, à l’aller ou au retour, Rembrandt a séjourné en Flandre et tâché de s’y accommoder à la religion du