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ne le dit pas assez. Les filles, qu’on y vient chercher, laissent peut-être à désirer sous le rapport de la distinction des manières ; mais elles ont tant de qualités plus sérieuses : bonté, charité, courage, sentiment du devoir ! Misérables, elles volent au secours d’une camarade plus pauvre qu’elles ; et elles ont, pour faire le bien, des délicatesses charmantes. Désabusées et tristes, elles savent dissimuler leur mélancolie et se forcer à rire. Mères douloureuses, si elles viennent de quitter leur enfant à l’agonie, elles feront quand même, en toute honnêteté professionnelle, leur métier de filles de joie. Si l’on prenait la peine de descendre dans ces âmes souillées, quelles oasis de pureté on y découvrirait ! Les fleurs poussent, candides comme des lys, sur cette fange. Mais nous ne savons pas les cueillir, ou nous n’en sommes pas dignes. Paul Bréhant est une nature d’élite ; aussi, dès sa première rencontre avec la fille Denise Fleury, au cabaret du Rat Mort, où il s’est échoué vers les deux heures du matin, entre-t-il tout de suite en sympathie avec cette âme exquise. Le dialogue où, entre la salade de museau de bœuf et le morceau de saucisson, cette fille de trottoir nous révèle ses pudeurs et ses timidités, est, sans aucune espèce de doute et sans contestation possible, un chef d’œuvre en son genre.

Il faut conclure. Le dernier acte s’adresse non plus à notre sensibilité, mais à notre raison ; il y est question non plus de pitié, mais de justice. Paul Bréhant a pris pour maîtresse Denise Fleury ; il connaît enfin ce bonheur véritable et dont nous rêvons : posséder une compagne en qui on puisse avoir toute confiance. « C’est si difficile à Paris de trouver une maîtresse qui soit une honnête femme ! » gémit un personnage de comédie ; c’est qu’il ne s’adresse pas où il faut Bréhant emmène Denise aux bains de mer et il la présente comme sa femme. Le procédé vous semble-t-il un peu indélicat ? C’est que vous conservez les préjugés du temps de Louis-Philippe. Mme Trévoux, une bonne grand’mère, en est tout à fait revenue. Elle ne trouve rien à redire à la menue supercherie de Bréhant et se réjouit que sa petite-fille soit entrée en relations avec une personne si recommandable. Cependant les amis de Bréhant, ceux que nous avons vus au premier acte, — des bourgeois, des gens du monde, des pharisiens, — le découvrent sur la plage isolée où il abrite son bonheur. Persuadés que leur ami est dupe d’une intrigante, ils se mettent en devoir de le renseigner sur le passé de Denise. Il faut voir comment ils sont reçus, et quelle piètre mine ils font au regard des attitudes vengeresses de l’ami de Denise. Il faut entendre