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avec quelle ardeur Bréhant flétrit leur égoïsme et confond leur lâcheté. Il ne va pas jusqu’à prétendre que toutes les filles du ruisseau soient d’honnêtes filles. Non ; c’est un homme de bon sens et il se défend de toute exagération. Mais si parmi ces filles il se trouve une créature exceptionnelle, ayant la réalité de toutes les vertus dont les femmes du monde ne savent que jouer la comédie, à quel titre la repousser ? Elle aussi, elle surtout, elle a le droit au respect. Tant pis pour les convenances et pour l’hypocrisie mondaine ! Bréhant conformera sa conduite, non pas à de vains préjugés, mais à ses convictions et à la vraie morale. Un M. Edouard, vieux noceur en chemin de gâtisme, qui, dans cet acte, joue le rôle du raisonneur, conclut par ce mot qui résume la situation : « Voilà un homme !… » Et c’est certainement le mot le plus drôle de la pièce.

Le rôle de Denise Fleury est tenu avec infiniment de charme par Mlle Yvonne de Bray : c’est à elle qu’est dû, pour une bonne pari, le succès du Ruisseau. Mme Judic, sous les traits de la bonne Mme Trévoux, est bénisseuse à souhait. M. Gauthier a de l’élégance, de la tenue, du tact dans le rôle parfois difficile de Paul Bréhant. M. Baron et M. Joffre sont très amusans.


Si l’auteur du Ruisseau témoigne de quelque sévérité à l’égard de notre société, en revanche l’auteur de la Française prend notre défense avec beaucoup de zèle. M. Brieux est un esprit généreux. Il souffre de constater le tort que nous font ses confrères, et le préjugé que répand contre nous notre littérature. Nous nous plaisons à nous dénigrer nous-mêmes. Nous nous livrons, imprudens que nous sommes, à une fanfaronnade d’immoralité. On s’empresse, à l’étranger, de nous croire sur parole. Ceux qui nous jugent d’après nos livres, ne doutent pas que nous ne soyons une nation corrompue jusque dans les moelles. Cela nous crée une réputation détestable. Rien n’est plus exact ; et si la remarque n’est pas très neuve, du moins est-elle infiniment judicieuse.

C’est pour réfuter le paradoxe ordinaire des romanciers et des dramaturges français que M. Brieux a composé la Française. Nous y voyons deux Américains, l’un plus jeune et d’ailleurs Français, l’autre d’un âge plus mûr, reçus dans une famille du Havre, s’y comporter tout à fait comme dans un mauvais lieu. Le Yankee, au cours de la conversation, ne fait-il pas mine d’embrasser la maîtresse de la maison, une mère de famille ? Il est remis à sa place et de la belle manière ! Le charme de nos bonnes mœurs familiales opère si complètement,