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chargeant de la « mélodie, » l’autre de l’harmonie et de l’instrumentation, en un mot de « l’accompagnement. » D’après la solution malveillante, ironique, le premier se réserverait les fausses notes, ou qui peuvent paraître telles, et laisserait au second les autres. Il se pourrait enfin que l’aîné fût l’auteur des pages qui nous ont charmé, tandis que son frère aurait fait le reste. Mais le contraire est possible également. Ainsi notre embarras persiste et nous ne saurons jamais auquel des deux musiciens doivent aller nos critiques et lequel a mérité nos complimens.

L’interprétation de Circé se partage en deux couples. D’un côté Mlle Vix (Circé) et M. Dufranne (Ulysse). Vix, en latin, veut dire « à peine, » et le talent de l’artiste répond tout juste à son nom. Pour M. Dufranne au contraire, ce nom-là ne saurait suffire. On reprocherait plutôt à l’excellent chanteur, comme on dit vulgairement, « d’en faire trop. » Sa voix magnifique, son action pleine de vie et de chaleur, tout en lui, ou plutôt hors de lui, se donne avec exubérance. Il ressemble au bouillant Achille plutôt qu’à l’ingénieux Ulysse. Avec son casque chevelu, sa cuirasse et son glaive, il parut un bronze descendu de son socle, ou de sa pendule.

L’autre couple (Elpénor et Glycère) est tout à fait gentil. Mlle Maggie Teyte, qui débute, n’a pas reçu en vain les leçons de M. Jean de Reszké. Cette enfant de seize ans a bien de la grâce et de la poésie, de l’intelligence et de la sensibilité. Quant à M. Devriès, il nous a charmé par l’ardeur ingénue et la sincérité juvénile de sa voix, de son chant et de son jeu.

L’exécution générale de l’ouvrage a manqué surtout de précision rythmique. Hélas ! le rythme se retirant de plus en plus de la musique aujourd’hui, nous devrions défendre le peu qui nous en reste avec un soin jaloux.


CAMILLE BELLAIGUE.