Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/552

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’en était pas diminuée. Reconnaître la nécessité et s’y soumettre, c’est précisément en quoi consiste le génie d’un chef d’État. Quelle est la réforme que la royauté anglaise n’ait pas accomplie sous le coup d’une contrainte nationale ? « Si vous repoussez l’abolition des dîmes, disait Althorp, le sang coulera. » « Ne vous exposez pas, disait John Russell, à propos de la réforme municipale, à accorder à la crainte ce que vous accordez à la justice. » Si la première réforme électorale avait été plus longtemps ajournée, les ouvriers de Manchester et Liverpool se seraient portés en armes sur Londres et auraient assailli la royauté. Céder à une nécessité publique n’avilit un souverain que lorsqu’il cède sans bonne foi avec l’arrière-pensée de reprendre ce qu’il a paru concéder. L’Empereur ne méritera pas ce reproche. Il a retardé, hésité, mais quand il s’est résolu, il s’est montré d’une irréprochable loyauté. Aucun souverain constitutionnel n’a respecté davantage la liberté de celui qu’il avait honoré de sa confiance. Il n’est intervenu dans mes négociations que sur ma demande, avec discrétion et bienveillance, uniquement en vue de me faciliter ma tâche, et non de la gêner par ses exigences personnelles. Et il a véritablement, de ce jour, mérité la gloire d’avoir, lui aussi, uni ce qu’on a cru souvent inconciliable, le principat et la liberté[1].


V

Le journal le Français nous avait appris comment le Centre Gauche accueillait le mandat que l’Empereur m’avait donné. Un de ses adeptes les mieux informés, bien qu’il ne fût plus député, Lambrecht, nous apprend comment ce groupe apprécia la formation de mon ministère : « L’opinion a forcé l’Empereur à donner entrée à Buffet, Daru et Talhouët. Ollivier se trouve par-là relégué au second plan, ou, du moins, il est contenu par la présence de ses trois collègues. Je crois que nous devons nous réjouir de cet événement et reprendre la confiance qui nous a parfois abandonnés[2]. » L’Univers, d’accord pour une fois avec le Français, faisais chorus à ce contentement intime : « Le nouveau Cabinet offre entre autres avantages celui de ne pas laisser libre

  1. Nerva Cæsar res olim dissociabiles miscuerit principatum et libertatem. Tacite, Agricola, 3.
  2. Félix Lambrecht, par A. Desjardins, p. 53.